Plop. Ceci n'a aucun rapport avec Fire Emblem (bien sûr) mais voilà, je mets ça là si jamais la curiosité ou l'ennui vous frappe. Il s'agit de ma dernière création nocturne alors si jamais des gens veulent le lire, le voici. Bon, par contre, ça fait bien ~ 3500 mots. Peut-être y en aura-t-il d'autres, qui sait?
Dernière édition par Irisia ♥ le Ven 4 Aoû 2017 - 17:18, édité 4 fois
L'Inconnue :
En cette journée d’hiver, alors que je marchais sous le ciel bleu à la pâleur extrême, j’avais décidé qu’il n’y aurait pas de lendemain. Pas un seul flocon de neige ne tomberait, pas un seul soupir ne s’évanouirait dans l’azur. Rien ne bougerait. Les yeux baissés, je me mêlais à la foule fourmillant autour de moi dans une valse infernale. Je ne voyais rien. Tout était flou. Mes jambes se mouvaient par une volonté inconsciente, comme un automatisme. J’avais longuement hésité avant d’enfiler mon manteau. Je ne savais pas exactement où j’allais. A force d’aller et venir dans mon appartement, je ne posais même plus ces questions qui me hantaient et m’assaillaient sans cesse depuis que je l’avais découvert. Peut-être aurais-je préféré ne pas le savoir ? Il y avait dans l’ignorance cette variation émotionnelle, cette sensation désagréable de manque. Elle était capable de me faire naviguer de l’insouciance au doute, du doute à l’obsession et puis de l’obsession au regret. Celui-ci avait sur moi l’effet d’une puissante onde de choc qui m’amena à cette décision silencieuse et fatale. Tout se terminerait bientôt. Je tremblais, puis serrais mon blouson d’une main ferme et lorsque je relâchais mon emprise, j’avançais de quelques pas puis je reprenais de plus belle ; cette idée m’éprouvait-elle encore autant ? Il ne me restait plus rien en ce monde, alors j’avais choisi de partir.
Mes pas résonnaient sur le gravier dans un claquement sourd, noyé dans l’écho d’innombrables chaussures marchant dans un rythme monocorde. Leurs sons se ressemblaient et s’entremêlaient dans une cacophonie épouvantable. Mes vagabondages me menèrent devant un passage descendant sous terre. Les gens s’y pressaient dans un rythme effréné, se croisaient dans un mouvement infernal. La foule me poussa en bas de l’escalier de béton gris et j’arrivai dans un couloir de métro aux murs pavés d’un blanc sali par l’usure. Sans réfléchir à deux fois, je m’y engouffrai. Je ne pouvais plus reculer. J’entendais au loin le sifflement languissant provenant du quai. Il m’appelait, il m’attirait. Je le suivis aveuglément, guidée par une force extérieure irrépressible et qui me contrôlait tout entière. La sirène sonna la fermeture des portes. Cinq minutes. C’était le temps qu’il me restait avant que je ne scelle mon sort et ne fasse régner le chaos dans ce que j’avais désigné comme mon tombeau. Ces cinq minutes seraient les plus longues de ma piètre existence et enfin, je sonnerais ma fin. La fin de l’histoire.
J’étais née dans une famille de banlieue parisienne, une existence des plus banales. Je grandissais au sein de mon monde, j’avais mes amis, j’avais ma curiosité, et j’avais ma naïveté. On peut dire que je découvrais l’univers et les joies, les peines de l’existence, allant et tâtonnant, tombant et me relevant. Et puis, il est arrivé. Il avait fait surface, en un éclair, avant même que je puisse m’en rendre compte, un peu comme une évidence. Il était jeune, beau, grand, divin. Je l’avais rencontré un jour que je me promenais au parc. C’était la fin de l’été et je prenais du plaisir à écouter la danse des dahlias, des glaïeuls, baignés par la lumière dorée du soleil, s’agitant à l’unisson au gré de la douce brise. Alors que je passais aux côtés d’un banc isolé, j’entendis une voix se mélanger avec le vent. Elle était envoûtante et s’envolait dans une sombre mélodie. Intriguée, je m’approchai et je le vis, auprès des roses à déclamer sa prose. Il était vêtu de sa chemise blanche impeccable qui épousait parfaitement sa silhouette bien proportionnée. Pas un pli, pas une usure. Il était soigné jusqu’au bout des ongles et avait l’allure d’un jeune prodige. Je ne pus qu’admirer son calme olympien, sa prestance, son débit fluide. Je m’arrêtai et me laissai enivrer par sa voix grave et sonore scandant chacun de ses mots. Ils étaient simples, ils étaient doux, ils étaient beaux. Mes yeux s’écarquillèrent à mesure que je reconnaissais le texte.
« Il y a pourtant tout que j'ignore, et pourtant tout que j'aime. Je nais, je vis, je demeure, rayonnante, belle et insolente. Ne puis-je donc pas durer ? On dit que je ne le pourrais que l'espace d'un matin...
- Serait-ce Le Roman de la Rose ? demandai-je alors, l’interrompant dans sa rêverie.
Il se retourna vivement et plongea ses yeux dans les miens. Ils étaient ensorcelants, comme ceux du plus fier des félins, brûlants et fougueux. Je me sentais confuse de l’avoir interrompu dans son élan et je ne donnais pas une seconde avant que mes joues et mes oreilles ne commencent à s'empourprer. Le jeune homme se détourna, pensif. Il entreprit de démêler les mèches brunes qui encadraient son visage et contempla un instant le silence et le chant des arbres, souriant et les yeux mi-clos. Il finit alors par me répondre avec malice :
- C’est cliché, n’est-ce pas ?
Je ne pus m’empêcher de compléter sa phrase, étirant un sourire.
- Alors je m'ouvre au ciel, la rosée perlant à mon front et j'attends. Midi viendra-t-il ? Me brûlera-t-il ? Je me vois déjà flétrir comme chacune de mes sœurs, l'une après l'autre…
Il me fit alors face à nouveau, étonné, me dévisageant de son regard sombre et charmeur.
- Il n’y a pas tellement de mal dans ce cliché, selon moi, poursuivis-je. S’il y a bien une chose que j’apprécie dans l’œuvre de Guérin, c’est bien le déclin de la Rose, fière et éclatante, qu’on observe tout au long du texte et l’histoire qu’elle a à nous raconter.
- Eh bien, je vois que j’ai affaire à une connaisseuse, dit-il avec un sourire en coin. Je me présente, Gabriel Guérin.
Il me tendit sa main que je saisis, tremblante. Il était clair que je ne m’attendais pas à tomber sur un auteur que j’affectionnais, lors d’une promenade de routine. Je ne pus m’empêcher d’être intimidée jusqu’au moment où nous nous quittâmes. Les jours suivants, je me surpris à scruter ce coin du parc chaque fois que mes pas m’y menèrent.
Le temps passait et je finis par l’y trouver assez régulièrement. Nous nous rejoignions alors et pouvions deviser des heures durant. Il s’immisça peu à peu dans ma vie et prit part à mon histoire avec une simplicité déconcertante. Je ne pouvais que l’aimer, lui, ses qualités, ses défauts. On disait que chaque être humain était relié à une ligne de destin. Et les nôtres, s'étaient rencontrées, entremêlées, accrochées dans un nœud solide impossible à défaire.
Deux étés plus tard, nous habitions ensemble un petit appartement parisien. Nous y coulions des jours heureux, rythmés par nos sorties, nos paresses… Nous nous contentions de rester tous les deux, seuls, et rien d’autre n’existait. Je ne vivais que pour lui et lui ne vivait que pour moi. Il prenait plaisir à me nommer sa muse, son Erato et me dédiait ses œuvres que je continuais de dévorer inlassablement. Lorsqu'il me parlait de ses écrits, il avait l'air embarqué dans son monde, rêveur. Et puis, il évoquait avec son regard empreint de malice son prochain roman dont je serais selon lui, le personnage principal. Devant mon air incrédule, il s'approchait de mon visage en me caressant les cheveux d'un air complice : « C'est un secret ! »
Il s’amusait à attiser ma curiosité et à me faire languir autant que possible. Je me demandais ce qu’il pouvait bien écrire pour arborer ce visage si mystérieux.
Nous savions tous deux que nous pouvions compter l'un sur l’autre peu importe la difficulté. Enfin, c'était ce que je croyais... Non, il ne m'avait pas trahie. Enfin, pouvait-on parler de trahison lorsque tout était seulement basé sur un tissu de mensonges ?
Plus je passais du temps avec lui, plus il tissait cette toile qu’il enveloppait autour de moi et me piégeait à mon insu. Il m'annonça un soir qu'il laisserait ses études pour se consacrer pleinement à l’écriture. Ses revenus d'auteur étant encore faibles, je me devais de le soutenir et pris un emploi supplémentaire pour subvenir à nos besoins. J’étudiais le jour et à la tombée du soir, j’éprouvais des tensions au travail. Lorsque je rentrais, je m’écroulais, épuisée sur le lit. J'avais à peine le temps de le saluer, de lui parler. Je ne voulais pas le déranger, alors je passais mon temps à lui cacher mes larmes quand je le voyais raturer ses manuscrits dans de grands gestes. Je ne me contentais alors que du souvenir de son sourire pour m’encourager. Il me suffit pour un temps, mais j’eus le malheur de me rendre compte qu’il s’effaçait de plus en plus. Il semble bien que c’est à ce moment-là que nous commençâmes à nous éloigner. Notre vie était tombée dans la banalité, et l'euphorie des débuts s'essoufflait, brisée par la dure réalité. Elle m'agrippait, m'attirait au fond d'un précipice.
Tous les soirs se ressemblaient. Gabriel venait me trouver dans la chambre me tirer de mon sommeil vers les vingt-et-une heures. Nous dînions, nous nous racontions nos journées. Lui, me décrivait les idées, les nouveaux horizons qu'il voulait explorer dans ses œuvres. Je l'écoutais, et j'admirais la passion qui l'animait. Il pouvait s'embraser et monopoliser la conversation comme il pouvait écouter mes peines d'un air distrait. Souvent il se levait et s'approchait de moi. Il respirait mes cheveux et jouait avec, du bout des doigts, en me susurrant à l'oreille des mots doux. Il me proposait alors de sortir nous promener dans les ténèbres de la nuit. Je grimaçai alors et refusai en prévision du lendemain. Gabriel dut certainement se lasser de cette routine car je trouvai un jour un mot traînant sur la table : « Je pars à l'aventure, ne m'attends pas ce soir ! J'ai laissé le dîner dans le micro-ondes. – G.G »
Je soupirai alors en me disant qu'il devait bien avoir besoin de voir le monde pour mieux s'inspirer. Il y eut d’autres soirs comme cela. Je me couchais seule et lorsque je me réveillais, je le voyais allongé paisiblement, affichant son visage d'ange ténébreux. Je regardais un instant sa poitrine se soulever et s'affaisser à un rythme régulier et partais, le sourire aux lèvres.
Et d'autres fois où il m'accueillait et me faisait tournoyer dans ses bras en me voyant passer le seuil. Mais ces soirs-là se firent de plus en plus rares. Il était de plus en plus absent. Peut-être allait-il dans des bars ou bien rêvait-il le long de la Seine. C'était ce que je voulais croire, mais je ne parvenais jamais à me leurrer très longtemps. Les doutes me torturaient insatiablement et me rongeaient jusqu’à la moelle. Avait-il rencontré d'autres femmes ? S'en était-il rapproché ? Je l'ignorais. J'ignorais tout. J'ignorais même jusqu'à l'identité de ses amis, de sa famille. Je frissonnai en me rendant compte que peut-être j'ignorais tout de lui. J'avais besoin de savoir. Mais quoi ? Fallait-il que je confirme mes craintes ? Je ressassais mes sombres pensées jour et nuit, me tournant plusieurs fois dans mon lit. Chacune d’entre elles me ramenait inévitablement à lui. Au moins, quelque chose me rassurait. Il rentrait toujours avant minuit et je me disais à ce moment que tout allait bien finalement, et que je cogitais inutilement. Il arrivait et m'embrassait tendrement le front. Je m'endormais immédiatement.
Ses absences continuaient à se multiplier. J’observais le temps qui s’écoulait à mon chevet ; mais minuit passait sans que Gabriel ne rentre. Pas un bruit de serrure, pas une seule lumière. J’attendais désespérément, mais en vain. Je ne dormais plus. Je peinais à me concentrer dans mes études, puis j'enchaînais les erreurs au travail. On me fit alors remarquer que ma participation n'était plus nécessaire. Je me noyais toujours de plus en plus et Gabriel n'était toujours pas auprès de moi. Ce jour-là, je rentrai tôt et je l'attendis tout le jour. Je me laissai aller, devant ma tasse de café et m'égarai en fixant l'horloge. Je passais mon temps à m’interroger encore et encore, à en devenir folle. Où pouvait-il bien être ?
Un appel vint bouleverser davantage mon esprit déjà troublé. Les mots parvenaient à mes oreilles mais je n'écoutais plus. Je ne voyais plus rien. Je sentais des frissons parcourir mon corps tout entier et mes poils se hérisser sur mes bras. Je n'étais plus que spasmes et tremblements. J'appris ainsi le décès tragique de mes parents dans un incendie. La tête enfouie dans mes mains, je laissai mes larmes rouler le long de mes joues. Je n'avais plus aucune force. Je ne pouvais que me répéter « Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? » Et à cette question, je n'avais aucune réponse. Je ne croyais pas vraiment au divin, mais si une entité supérieure existait vraiment, je la haïssais de toute mon âme.
Je ne sais combien de temps je demeurai ainsi. Mes sanglots se calmèrent. J’étais devenue une ombre silencieuse. Je pensais à Gabriel, je pensais à mes parents. Ils étaient partis en un instant, sans que j’aie pu leur reparler. A quand remontait donc la dernière fois ? Quand ? Quand ? Quand… ? Je fronçai les sourcils en tentant de me remémorer le visage de ma mère. Je voyais son doux sourire. Je voyais ma main dans la sienne. C’était étrange. Je ne distinguais rien d’autre. Je me concentrai sur sa chevelure. Elle était blonde, elle était brune, elle était rousse. Comment pouvais-je ne pas me souvenir de ces détails simples ? Je m’échauffais toute seule, mais il n’y avait rien à faire. Peu importe si j’essayais de me souvenir de ma mère ou de mon père, mes pensées me ramenaient toujours à Gabriel. C’était comme si je n’avais aucun souvenir antérieur.
Je me mis à tourner en rond au milieu de la pièce. Quel était le sens à tout ça ? Il semblait que mes parents n’avaient jamais existé. Je criais, coincée entre ces quatre murs, en m’arrachant les cheveux. Tout n’était qu’illusion. Arrivais-je seulement à nommer mon entourage ? Il y avait… Il y avait… Il y avait… Toutes mes convictions s’effondraient. Mon enfance, mes amis, mes parents n’étaient que des spectres dansant dans mon esprit alors inconscient. Il n’y avait aucun nom, aucun visage. Mes battements de cœur se faisaient de plus en plus rapides et je me mis à transpirer à grosses gouttes. Quel était donc le sens de tout ça ? Un manuscrit attira mon regard. Je me mis à le parcourir lentement. A peine eussé-je achevé trois lignes que les pages m’échappèrent des mains. Je tombai à la renverse en me rendant compte de la nature de ce texte. Chaque mot, chaque phrase m’étaient familiers. Je les avais formulés. C’était l’histoire que je contais en ce moment-même. Gabriel était l’auteur de ce manuscrit. Comment cela pouvait-il être possible ? Il savait tout. Absolument tout. Mes ressentis, mes peines… Je visualisais son sourire. A présent, il m’avait plus l’air sournois qu’autre chose. Ces moments passés ensemble, ce monde, tout était faux. Il avait tout orchestré pour en faire un roman. Son roman.
Je pensais être une personne, mais je me rendais compte à présent que j’ignorais même mon propre nom. Je n’avais jamais grandi. Je n’avais jamais appris à marcher. Je n’avais jamais rien vécu. Mon existence elle-même n’était qu’un simple mirage. L’auteur me modelait à souhait et je ne pouvais rien y faire. Je me contentais de souffrir. Il était même allé jusqu’à se projeter dans le personnage de Gabriel. Je ne savais pas non plus si je devais en rire ou en pleurer. Je me disais que l’auteur devait être mauvais au point d’avoir besoin de se jeter des fleurs, et qu’il prenait un plaisir languissant et cruel à nuire. Et c’était pour cela qu’il m’avait créée. J’étais sa marionnette, j’étais sa chose. Absolument rien ne pouvait changer à ce propos. Après quelques hésitations, je réarrangeai les pages de ma triste histoire. Je demeurai là, à les tenir, les mains tressaillant. Il me brûlait de me rendre à la dernière page, mais je savais que cette action serait irréversible. Alors, je fermai les yeux. Je me serais bien répété des prières que l’auteur aurait pu m’apprendre, à défaut d’avoir une mère, mais je n’en connaissais aucune. C’était bien dans ce genre de moments que j’avais besoin de courage, aussi chimérique soit-il. Or, je n’avais rien. Mes paupières tremblaient désespérément, plissées, comme pour maintenir la pénombre dans mon âme. Peut-être était-ce comme cela que je pourrais mettre fin à mes mésaventures ? Je ne pus retenir mon rire. Mon histoire ne pourrait pas terminer ainsi. Et puis, j’étais persuadée que Gabriel continuerait à l’écrire. Chancelante, j’approchai mes doigts de la fatidique page. Je rouvris mes yeux sans crier gare. Ils s’écarquillèrent d’un coup. C’était une feuille vierge. Je la retournai dans tous les sens, sans trouver une seule tache d’encre. Mon visage se décomposait à mesure que je la parcourais. Je me décidai alors à saisir la précédente. Je vis les mots tomber, je les vis disparaître. Ils s’évanouissaient dans la neige qui les recouvrait. Se pouvait-il alors que j’avais réussi à agir à l’encontre de l’auteur ?
J’avais marché des heures, à la recherche de la fin que j’écrirais moi-même. Si seulement je pouvais me libérer du joug de Gabriel… J’étais son personnage principal. Il avait choisi de centrer son roman autour de moi et il n’y avait rien de plus ennuyeux qu’une vie sans souci. Il était clair que maintenant que je l’avais démasqué, il allait affermir son emprise. Que pouvais-je donc faire ? Mourir. Cette solution paraissait sûrement la plus lâche, comme une fuite face aux problèmes et pourtant, c’était celle qui me convenait le mieux. Je doutais qu’il souhaite mon décès de sitôt. Il devait apprécier le jouet que j’étais. Je m’étais dirigée dans la cuisine. J’avais l’embarras du choix. Un couteau ? Trop long. Je ne me voyais pas finir ma vie en attendant et me regardant me vider de mon sang. La défenestration ? Je souris. La vitre donnait sur la cour fermée que je partageais avec la copropriété. Le hasard avait décidé de placer les poubelles contre mon mur. J’avais encore assez de considération pour ma personne, ce qui m’empêchait d’envisager ce moyen. De plus, elles ne feraient qu’atténuer ma chute et je finissais au mieux, ridiculisée devant Georgette, la concierge qui aurait accouru à cause du bruit. Il m’a semblé que je prenais le suicide un peu trop à la légère. Qu’y pouvais-je donc ? Je ne pouvais pas rompre mon lien avec Gabriel. Mon existence elle-même n’avait tourné qu’autour de lui. Le monde qui nous entourait aussi. Les arbres chantaient pour lui, la rose lui souriait à lui. Il m’aurait sûrement persuadée que je me faisais des idées. Il m’aurait ensorcelée, une fois de plus. Et il aurait continué son jeu sordide, m’usant jusqu’à la moelle. Il se serait rendu compte que son roman ne se vendrait pas et abrégerait enfin mes souffrances après m’avoir fait tomber dans l’alcool et la mendicité. Je n’avais plus de temps pour cogiter. L’heure était enfin venue. Je m’exhortai à contempler ce monde épuré de tout sentiment une dernière fois. Des manteaux noirs, des manteaux bruns, tout se ressemblait. Je relevai la tête pour voir le ciel gris et errai pour la toute dernière fois. Avant, lorsque j’empruntais ces rues, je me demandais à quoi pouvait bien penser Gabriel en les abordant. Que pouvaient-elles bien lui évoquer ? Que pouvaient-elles lui inspirer ? Aujourd’hui, je me questionnais plus de ce qu’elles représenteraient pour moi si… si… si… Les mots ne voulaient pas se former, ne voulaient pas accepter la dure réalité de la chose. Comme toutes les autres roses, il avait fallu que j’éclose et que je me fane. Chaque pas devait bien me faire perdre un pétale qui s’échouait sur les pavés en virevoltant.
Je ne gardai pas de souvenir précis de cette dernière balade. Je n’aurais rien à quoi m’accrocher pendant que le train se rapprocherait dangereusement de moi. J’ignorais encore où irait ma dernière étincelle de vie. Peut-être regretterais-je mon geste. Voilà quatre minutes que je fixais les rails, pensive. La voix métallique annonçant l’entrée en gare me tira de ma rêverie et je sautai dans l’inconnu, sans plus me poser de question. C’était une sensation étrange. Je sentais l’air contre mon visage, mes cheveux s’emmêler et mes jambes se détendre. J’entendais les cris lointains des gens du quai, mais j’étais déjà ailleurs. C’étaient les dernières secondes, mais c’étaient les plus longues de ma misérable vie. J’affichais un sourire espiègle face à la mort alors que je les savourais dans une formidable poussée d’adrénaline. Je relevai alors la tête, aux anges. J’apercevais le quai d’en face. Il y avait une foule amassée qui me fixait bouche bée. D’autres pestaient en essayant de contacter le personnel. Ce fut à ce moment-là que quelqu’un attira mon regard. Au milieu de cette pagaille se tenait un homme, un carnet à la main. Alors que je m’interrogeais, il l’abaissa et me sourit. Je plissai des yeux pour le distinguer et pour les écarquiller immédiatement après, effarée. C’était lui… Lui… Lui… Et comme depuis toujours, il l’avait écrit. Il avait tout écrit… Des larmes de rage perlèrent au coin de mes cils. L’impact fut puissant et ne me laissa aucun répit. Je ne sentis rien. Le voile du soir flottait déjà devant mon regard quand l’obscurité vint me trouver. Pour toujours, et à jamais.
Mes pas résonnaient sur le gravier dans un claquement sourd, noyé dans l’écho d’innombrables chaussures marchant dans un rythme monocorde. Leurs sons se ressemblaient et s’entremêlaient dans une cacophonie épouvantable. Mes vagabondages me menèrent devant un passage descendant sous terre. Les gens s’y pressaient dans un rythme effréné, se croisaient dans un mouvement infernal. La foule me poussa en bas de l’escalier de béton gris et j’arrivai dans un couloir de métro aux murs pavés d’un blanc sali par l’usure. Sans réfléchir à deux fois, je m’y engouffrai. Je ne pouvais plus reculer. J’entendais au loin le sifflement languissant provenant du quai. Il m’appelait, il m’attirait. Je le suivis aveuglément, guidée par une force extérieure irrépressible et qui me contrôlait tout entière. La sirène sonna la fermeture des portes. Cinq minutes. C’était le temps qu’il me restait avant que je ne scelle mon sort et ne fasse régner le chaos dans ce que j’avais désigné comme mon tombeau. Ces cinq minutes seraient les plus longues de ma piètre existence et enfin, je sonnerais ma fin. La fin de l’histoire.
J’étais née dans une famille de banlieue parisienne, une existence des plus banales. Je grandissais au sein de mon monde, j’avais mes amis, j’avais ma curiosité, et j’avais ma naïveté. On peut dire que je découvrais l’univers et les joies, les peines de l’existence, allant et tâtonnant, tombant et me relevant. Et puis, il est arrivé. Il avait fait surface, en un éclair, avant même que je puisse m’en rendre compte, un peu comme une évidence. Il était jeune, beau, grand, divin. Je l’avais rencontré un jour que je me promenais au parc. C’était la fin de l’été et je prenais du plaisir à écouter la danse des dahlias, des glaïeuls, baignés par la lumière dorée du soleil, s’agitant à l’unisson au gré de la douce brise. Alors que je passais aux côtés d’un banc isolé, j’entendis une voix se mélanger avec le vent. Elle était envoûtante et s’envolait dans une sombre mélodie. Intriguée, je m’approchai et je le vis, auprès des roses à déclamer sa prose. Il était vêtu de sa chemise blanche impeccable qui épousait parfaitement sa silhouette bien proportionnée. Pas un pli, pas une usure. Il était soigné jusqu’au bout des ongles et avait l’allure d’un jeune prodige. Je ne pus qu’admirer son calme olympien, sa prestance, son débit fluide. Je m’arrêtai et me laissai enivrer par sa voix grave et sonore scandant chacun de ses mots. Ils étaient simples, ils étaient doux, ils étaient beaux. Mes yeux s’écarquillèrent à mesure que je reconnaissais le texte.
« Il y a pourtant tout que j'ignore, et pourtant tout que j'aime. Je nais, je vis, je demeure, rayonnante, belle et insolente. Ne puis-je donc pas durer ? On dit que je ne le pourrais que l'espace d'un matin...
- Serait-ce Le Roman de la Rose ? demandai-je alors, l’interrompant dans sa rêverie.
Il se retourna vivement et plongea ses yeux dans les miens. Ils étaient ensorcelants, comme ceux du plus fier des félins, brûlants et fougueux. Je me sentais confuse de l’avoir interrompu dans son élan et je ne donnais pas une seconde avant que mes joues et mes oreilles ne commencent à s'empourprer. Le jeune homme se détourna, pensif. Il entreprit de démêler les mèches brunes qui encadraient son visage et contempla un instant le silence et le chant des arbres, souriant et les yeux mi-clos. Il finit alors par me répondre avec malice :
- C’est cliché, n’est-ce pas ?
Je ne pus m’empêcher de compléter sa phrase, étirant un sourire.
- Alors je m'ouvre au ciel, la rosée perlant à mon front et j'attends. Midi viendra-t-il ? Me brûlera-t-il ? Je me vois déjà flétrir comme chacune de mes sœurs, l'une après l'autre…
Il me fit alors face à nouveau, étonné, me dévisageant de son regard sombre et charmeur.
- Il n’y a pas tellement de mal dans ce cliché, selon moi, poursuivis-je. S’il y a bien une chose que j’apprécie dans l’œuvre de Guérin, c’est bien le déclin de la Rose, fière et éclatante, qu’on observe tout au long du texte et l’histoire qu’elle a à nous raconter.
- Eh bien, je vois que j’ai affaire à une connaisseuse, dit-il avec un sourire en coin. Je me présente, Gabriel Guérin.
Il me tendit sa main que je saisis, tremblante. Il était clair que je ne m’attendais pas à tomber sur un auteur que j’affectionnais, lors d’une promenade de routine. Je ne pus m’empêcher d’être intimidée jusqu’au moment où nous nous quittâmes. Les jours suivants, je me surpris à scruter ce coin du parc chaque fois que mes pas m’y menèrent.
Le temps passait et je finis par l’y trouver assez régulièrement. Nous nous rejoignions alors et pouvions deviser des heures durant. Il s’immisça peu à peu dans ma vie et prit part à mon histoire avec une simplicité déconcertante. Je ne pouvais que l’aimer, lui, ses qualités, ses défauts. On disait que chaque être humain était relié à une ligne de destin. Et les nôtres, s'étaient rencontrées, entremêlées, accrochées dans un nœud solide impossible à défaire.
Deux étés plus tard, nous habitions ensemble un petit appartement parisien. Nous y coulions des jours heureux, rythmés par nos sorties, nos paresses… Nous nous contentions de rester tous les deux, seuls, et rien d’autre n’existait. Je ne vivais que pour lui et lui ne vivait que pour moi. Il prenait plaisir à me nommer sa muse, son Erato et me dédiait ses œuvres que je continuais de dévorer inlassablement. Lorsqu'il me parlait de ses écrits, il avait l'air embarqué dans son monde, rêveur. Et puis, il évoquait avec son regard empreint de malice son prochain roman dont je serais selon lui, le personnage principal. Devant mon air incrédule, il s'approchait de mon visage en me caressant les cheveux d'un air complice : « C'est un secret ! »
Il s’amusait à attiser ma curiosité et à me faire languir autant que possible. Je me demandais ce qu’il pouvait bien écrire pour arborer ce visage si mystérieux.
Nous savions tous deux que nous pouvions compter l'un sur l’autre peu importe la difficulté. Enfin, c'était ce que je croyais... Non, il ne m'avait pas trahie. Enfin, pouvait-on parler de trahison lorsque tout était seulement basé sur un tissu de mensonges ?
Plus je passais du temps avec lui, plus il tissait cette toile qu’il enveloppait autour de moi et me piégeait à mon insu. Il m'annonça un soir qu'il laisserait ses études pour se consacrer pleinement à l’écriture. Ses revenus d'auteur étant encore faibles, je me devais de le soutenir et pris un emploi supplémentaire pour subvenir à nos besoins. J’étudiais le jour et à la tombée du soir, j’éprouvais des tensions au travail. Lorsque je rentrais, je m’écroulais, épuisée sur le lit. J'avais à peine le temps de le saluer, de lui parler. Je ne voulais pas le déranger, alors je passais mon temps à lui cacher mes larmes quand je le voyais raturer ses manuscrits dans de grands gestes. Je ne me contentais alors que du souvenir de son sourire pour m’encourager. Il me suffit pour un temps, mais j’eus le malheur de me rendre compte qu’il s’effaçait de plus en plus. Il semble bien que c’est à ce moment-là que nous commençâmes à nous éloigner. Notre vie était tombée dans la banalité, et l'euphorie des débuts s'essoufflait, brisée par la dure réalité. Elle m'agrippait, m'attirait au fond d'un précipice.
Tous les soirs se ressemblaient. Gabriel venait me trouver dans la chambre me tirer de mon sommeil vers les vingt-et-une heures. Nous dînions, nous nous racontions nos journées. Lui, me décrivait les idées, les nouveaux horizons qu'il voulait explorer dans ses œuvres. Je l'écoutais, et j'admirais la passion qui l'animait. Il pouvait s'embraser et monopoliser la conversation comme il pouvait écouter mes peines d'un air distrait. Souvent il se levait et s'approchait de moi. Il respirait mes cheveux et jouait avec, du bout des doigts, en me susurrant à l'oreille des mots doux. Il me proposait alors de sortir nous promener dans les ténèbres de la nuit. Je grimaçai alors et refusai en prévision du lendemain. Gabriel dut certainement se lasser de cette routine car je trouvai un jour un mot traînant sur la table : « Je pars à l'aventure, ne m'attends pas ce soir ! J'ai laissé le dîner dans le micro-ondes. – G.G »
Je soupirai alors en me disant qu'il devait bien avoir besoin de voir le monde pour mieux s'inspirer. Il y eut d’autres soirs comme cela. Je me couchais seule et lorsque je me réveillais, je le voyais allongé paisiblement, affichant son visage d'ange ténébreux. Je regardais un instant sa poitrine se soulever et s'affaisser à un rythme régulier et partais, le sourire aux lèvres.
Et d'autres fois où il m'accueillait et me faisait tournoyer dans ses bras en me voyant passer le seuil. Mais ces soirs-là se firent de plus en plus rares. Il était de plus en plus absent. Peut-être allait-il dans des bars ou bien rêvait-il le long de la Seine. C'était ce que je voulais croire, mais je ne parvenais jamais à me leurrer très longtemps. Les doutes me torturaient insatiablement et me rongeaient jusqu’à la moelle. Avait-il rencontré d'autres femmes ? S'en était-il rapproché ? Je l'ignorais. J'ignorais tout. J'ignorais même jusqu'à l'identité de ses amis, de sa famille. Je frissonnai en me rendant compte que peut-être j'ignorais tout de lui. J'avais besoin de savoir. Mais quoi ? Fallait-il que je confirme mes craintes ? Je ressassais mes sombres pensées jour et nuit, me tournant plusieurs fois dans mon lit. Chacune d’entre elles me ramenait inévitablement à lui. Au moins, quelque chose me rassurait. Il rentrait toujours avant minuit et je me disais à ce moment que tout allait bien finalement, et que je cogitais inutilement. Il arrivait et m'embrassait tendrement le front. Je m'endormais immédiatement.
Ses absences continuaient à se multiplier. J’observais le temps qui s’écoulait à mon chevet ; mais minuit passait sans que Gabriel ne rentre. Pas un bruit de serrure, pas une seule lumière. J’attendais désespérément, mais en vain. Je ne dormais plus. Je peinais à me concentrer dans mes études, puis j'enchaînais les erreurs au travail. On me fit alors remarquer que ma participation n'était plus nécessaire. Je me noyais toujours de plus en plus et Gabriel n'était toujours pas auprès de moi. Ce jour-là, je rentrai tôt et je l'attendis tout le jour. Je me laissai aller, devant ma tasse de café et m'égarai en fixant l'horloge. Je passais mon temps à m’interroger encore et encore, à en devenir folle. Où pouvait-il bien être ?
Un appel vint bouleverser davantage mon esprit déjà troublé. Les mots parvenaient à mes oreilles mais je n'écoutais plus. Je ne voyais plus rien. Je sentais des frissons parcourir mon corps tout entier et mes poils se hérisser sur mes bras. Je n'étais plus que spasmes et tremblements. J'appris ainsi le décès tragique de mes parents dans un incendie. La tête enfouie dans mes mains, je laissai mes larmes rouler le long de mes joues. Je n'avais plus aucune force. Je ne pouvais que me répéter « Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? » Et à cette question, je n'avais aucune réponse. Je ne croyais pas vraiment au divin, mais si une entité supérieure existait vraiment, je la haïssais de toute mon âme.
Je ne sais combien de temps je demeurai ainsi. Mes sanglots se calmèrent. J’étais devenue une ombre silencieuse. Je pensais à Gabriel, je pensais à mes parents. Ils étaient partis en un instant, sans que j’aie pu leur reparler. A quand remontait donc la dernière fois ? Quand ? Quand ? Quand… ? Je fronçai les sourcils en tentant de me remémorer le visage de ma mère. Je voyais son doux sourire. Je voyais ma main dans la sienne. C’était étrange. Je ne distinguais rien d’autre. Je me concentrai sur sa chevelure. Elle était blonde, elle était brune, elle était rousse. Comment pouvais-je ne pas me souvenir de ces détails simples ? Je m’échauffais toute seule, mais il n’y avait rien à faire. Peu importe si j’essayais de me souvenir de ma mère ou de mon père, mes pensées me ramenaient toujours à Gabriel. C’était comme si je n’avais aucun souvenir antérieur.
Je me mis à tourner en rond au milieu de la pièce. Quel était le sens à tout ça ? Il semblait que mes parents n’avaient jamais existé. Je criais, coincée entre ces quatre murs, en m’arrachant les cheveux. Tout n’était qu’illusion. Arrivais-je seulement à nommer mon entourage ? Il y avait… Il y avait… Il y avait… Toutes mes convictions s’effondraient. Mon enfance, mes amis, mes parents n’étaient que des spectres dansant dans mon esprit alors inconscient. Il n’y avait aucun nom, aucun visage. Mes battements de cœur se faisaient de plus en plus rapides et je me mis à transpirer à grosses gouttes. Quel était donc le sens de tout ça ? Un manuscrit attira mon regard. Je me mis à le parcourir lentement. A peine eussé-je achevé trois lignes que les pages m’échappèrent des mains. Je tombai à la renverse en me rendant compte de la nature de ce texte. Chaque mot, chaque phrase m’étaient familiers. Je les avais formulés. C’était l’histoire que je contais en ce moment-même. Gabriel était l’auteur de ce manuscrit. Comment cela pouvait-il être possible ? Il savait tout. Absolument tout. Mes ressentis, mes peines… Je visualisais son sourire. A présent, il m’avait plus l’air sournois qu’autre chose. Ces moments passés ensemble, ce monde, tout était faux. Il avait tout orchestré pour en faire un roman. Son roman.
Je pensais être une personne, mais je me rendais compte à présent que j’ignorais même mon propre nom. Je n’avais jamais grandi. Je n’avais jamais appris à marcher. Je n’avais jamais rien vécu. Mon existence elle-même n’était qu’un simple mirage. L’auteur me modelait à souhait et je ne pouvais rien y faire. Je me contentais de souffrir. Il était même allé jusqu’à se projeter dans le personnage de Gabriel. Je ne savais pas non plus si je devais en rire ou en pleurer. Je me disais que l’auteur devait être mauvais au point d’avoir besoin de se jeter des fleurs, et qu’il prenait un plaisir languissant et cruel à nuire. Et c’était pour cela qu’il m’avait créée. J’étais sa marionnette, j’étais sa chose. Absolument rien ne pouvait changer à ce propos. Après quelques hésitations, je réarrangeai les pages de ma triste histoire. Je demeurai là, à les tenir, les mains tressaillant. Il me brûlait de me rendre à la dernière page, mais je savais que cette action serait irréversible. Alors, je fermai les yeux. Je me serais bien répété des prières que l’auteur aurait pu m’apprendre, à défaut d’avoir une mère, mais je n’en connaissais aucune. C’était bien dans ce genre de moments que j’avais besoin de courage, aussi chimérique soit-il. Or, je n’avais rien. Mes paupières tremblaient désespérément, plissées, comme pour maintenir la pénombre dans mon âme. Peut-être était-ce comme cela que je pourrais mettre fin à mes mésaventures ? Je ne pus retenir mon rire. Mon histoire ne pourrait pas terminer ainsi. Et puis, j’étais persuadée que Gabriel continuerait à l’écrire. Chancelante, j’approchai mes doigts de la fatidique page. Je rouvris mes yeux sans crier gare. Ils s’écarquillèrent d’un coup. C’était une feuille vierge. Je la retournai dans tous les sens, sans trouver une seule tache d’encre. Mon visage se décomposait à mesure que je la parcourais. Je me décidai alors à saisir la précédente. Je vis les mots tomber, je les vis disparaître. Ils s’évanouissaient dans la neige qui les recouvrait. Se pouvait-il alors que j’avais réussi à agir à l’encontre de l’auteur ?
J’avais marché des heures, à la recherche de la fin que j’écrirais moi-même. Si seulement je pouvais me libérer du joug de Gabriel… J’étais son personnage principal. Il avait choisi de centrer son roman autour de moi et il n’y avait rien de plus ennuyeux qu’une vie sans souci. Il était clair que maintenant que je l’avais démasqué, il allait affermir son emprise. Que pouvais-je donc faire ? Mourir. Cette solution paraissait sûrement la plus lâche, comme une fuite face aux problèmes et pourtant, c’était celle qui me convenait le mieux. Je doutais qu’il souhaite mon décès de sitôt. Il devait apprécier le jouet que j’étais. Je m’étais dirigée dans la cuisine. J’avais l’embarras du choix. Un couteau ? Trop long. Je ne me voyais pas finir ma vie en attendant et me regardant me vider de mon sang. La défenestration ? Je souris. La vitre donnait sur la cour fermée que je partageais avec la copropriété. Le hasard avait décidé de placer les poubelles contre mon mur. J’avais encore assez de considération pour ma personne, ce qui m’empêchait d’envisager ce moyen. De plus, elles ne feraient qu’atténuer ma chute et je finissais au mieux, ridiculisée devant Georgette, la concierge qui aurait accouru à cause du bruit. Il m’a semblé que je prenais le suicide un peu trop à la légère. Qu’y pouvais-je donc ? Je ne pouvais pas rompre mon lien avec Gabriel. Mon existence elle-même n’avait tourné qu’autour de lui. Le monde qui nous entourait aussi. Les arbres chantaient pour lui, la rose lui souriait à lui. Il m’aurait sûrement persuadée que je me faisais des idées. Il m’aurait ensorcelée, une fois de plus. Et il aurait continué son jeu sordide, m’usant jusqu’à la moelle. Il se serait rendu compte que son roman ne se vendrait pas et abrégerait enfin mes souffrances après m’avoir fait tomber dans l’alcool et la mendicité. Je n’avais plus de temps pour cogiter. L’heure était enfin venue. Je m’exhortai à contempler ce monde épuré de tout sentiment une dernière fois. Des manteaux noirs, des manteaux bruns, tout se ressemblait. Je relevai la tête pour voir le ciel gris et errai pour la toute dernière fois. Avant, lorsque j’empruntais ces rues, je me demandais à quoi pouvait bien penser Gabriel en les abordant. Que pouvaient-elles bien lui évoquer ? Que pouvaient-elles lui inspirer ? Aujourd’hui, je me questionnais plus de ce qu’elles représenteraient pour moi si… si… si… Les mots ne voulaient pas se former, ne voulaient pas accepter la dure réalité de la chose. Comme toutes les autres roses, il avait fallu que j’éclose et que je me fane. Chaque pas devait bien me faire perdre un pétale qui s’échouait sur les pavés en virevoltant.
Je ne gardai pas de souvenir précis de cette dernière balade. Je n’aurais rien à quoi m’accrocher pendant que le train se rapprocherait dangereusement de moi. J’ignorais encore où irait ma dernière étincelle de vie. Peut-être regretterais-je mon geste. Voilà quatre minutes que je fixais les rails, pensive. La voix métallique annonçant l’entrée en gare me tira de ma rêverie et je sautai dans l’inconnu, sans plus me poser de question. C’était une sensation étrange. Je sentais l’air contre mon visage, mes cheveux s’emmêler et mes jambes se détendre. J’entendais les cris lointains des gens du quai, mais j’étais déjà ailleurs. C’étaient les dernières secondes, mais c’étaient les plus longues de ma misérable vie. J’affichais un sourire espiègle face à la mort alors que je les savourais dans une formidable poussée d’adrénaline. Je relevai alors la tête, aux anges. J’apercevais le quai d’en face. Il y avait une foule amassée qui me fixait bouche bée. D’autres pestaient en essayant de contacter le personnel. Ce fut à ce moment-là que quelqu’un attira mon regard. Au milieu de cette pagaille se tenait un homme, un carnet à la main. Alors que je m’interrogeais, il l’abaissa et me sourit. Je plissai des yeux pour le distinguer et pour les écarquiller immédiatement après, effarée. C’était lui… Lui… Lui… Et comme depuis toujours, il l’avait écrit. Il avait tout écrit… Des larmes de rage perlèrent au coin de mes cils. L’impact fut puissant et ne me laissa aucun répit. Je ne sentis rien. Le voile du soir flottait déjà devant mon regard quand l’obscurité vint me trouver. Pour toujours, et à jamais.
Celui-ci est un peu spécial. En effet, il y aura deux versions car j'ai fait ce texte morceau par morceau et que selon l'assemblage, l'effet n'est probablement pas le même. Il s'agit d'une histoire d'amour... Mais qui commence par la fin. J'ai nommé :
Oui, j'avais envie de parler d'amour. Et je précise que c'est un texte à deux voix inspiré de la musique de BANNERS. Je l'ai découvertes il y a pas longtemps et je suis en train de tomber amoureuse de ces chansons. C'est cette ambiance-là que je voulais retranscrire et d'ailleurs, les chansons qui sont le plus ressorties et m'ont le plus inspirée lors de l'écriture sont Holy Ground, Ghosts, Someone to you et pour finir Half light.
Ma-gni-fiques.
Oui, j'avais toujours su que nous finirions notre vie ensemble, main dans la main sur une plage. La mer effacerait nos empreintes petit à petit. Nous disparaîtrions... Comme nos larmes, comme nos cris... Plus rien... Mais avant ça, nous nous regarderions, mémorisant le sourire de l'un et de l'autre. Est-ce que nos existences furent réellement un gâchis? Peut-être... Ou peut-être pas... Après tout, nous sommes partis mourir heureux... Peut-on réellement en juger?
Maintenant, ferme tes yeux. Ecoute ma voix, souviens-toi de mon sourire, sens-toi bercer... Tout comme je me souviens du tien, tout comme j'écoute la tienne... Il est temps que la mort nous sépare... Ta main est si chaude... Je sens chaque pli, chaque ride... Il s'en est passé des choses, depuis la toute première fois... Te souviens-tu? Te souviens-tu? Ta voix continue de résonner en moi dans cette douce mélodie pendant que mes doigts se détendent lentement. Tu me parles doucement en maintenant ton emprise, alors que je pars... Je te laisse seul, toi qui ne m'as jamais laissée... Tu me presses de ta chaleur alors que je refroidis... Mais quelle ingrate je fais... La Terre nous rappelle après toutes ces turbulences... C'est inévitable... Et il faut que je te l'inflige... Que je parte la première, égoïstement. Tu sais ? Je t'aime. Comme je t'ai toujours aimé... Plus que n'importe qui...
Et tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que tu es la personne qui me comprend le mieux. Tu suis mes extravagances tout en maintenant mon pied à terre. Tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que ton empathie ne connaît aucune limite. Tu aides toujours les gens à porter leur fardeau, c'est bien une chose que j'admire chez toi. Tu sais, pourquoi je t'aime? Ton sourire, et les courbures de ton visage m'ont toujours réchauffé le cœur. Et tu sais, parce que je t'aime? Je n'ai jamais supporté de te voir souffrir. Et tu sais, parce que je t'aime? Je serais allée jusqu'au bout du monde si tu me le demandais. Et tu sais, parce que je t'aime? J'aurais fait tous les sacrifices du monde pour ton bonheur.
Maintenant, c'est fini... J'aurais fait de mon mieux... J'espère que j'ai réussi... Même s'il faut que je t'entende pleurer pour ces derniers instants qui ont fui à toute vitesse... Même si... Même si... Même si...
Nous aurions eu de bonnes vies, quand même... En exauçant nos souhaits, en restant ensemble... Autant que possible... Je t'entends encore réprimer tes sanglots, je t'entends encore... Et je te vois attaquer les anges qui déposent ce voile blanc sur mes yeux... Tu veux les en empêcher, mais ils t'ignorent... Le film va bientôt commencer...
J'aimerais tant retarder ton départ, murmurant ton nom avec impuissance. C'est l'issue fatale de nos vies... Il y a des choses que je n'ai jamais pu faire... Cette existence t'a-t-elle réellement satisfaite? A en croire le sourire ancré sur ton visage alors que ta vie s'évanouit dans un soupir, je devrais répondre par l'affirmative... Crois-tu que j'arriverai à décrocher mon regard de la dernière image qu'il me reste de toi? Comment dois-je réagir alors que tu te gèles à jamais? On avait redouté ce moment depuis si longtemps, surtout ces derniers jours... Toute bonne chose a une fin. Et maintenant, je suis frappé par cette onde de choc et je continue à te parler en serrant ta main délicate dans la mienne. Je ne sais pas si tu m'entends, si tu comprends mes murmures, si tu crois me répondre ou alors... Si tu as déjà commencé ton dernier voyage... Malgré les années qui ont passé, pour moi, tu es toujours aussi belle. Je veux te toucher. Je couvrirais bien ton front de baisers ne serait-ce que pour faire fondre la glace qui te recouvre. Si seulement... Mais je n'ose pas et je ne le pourrai pas. J'ai peur de t'embrasser comme cela m'a toujours effrayé. Peur que tu ne t'enfuies au contact de mes lèvres... Et aujourd'hui, ce sera réel... Et pourtant, je voulais te croire éternelle. Pourquoi avais-je donc peur alors que tu es avec moi, même jusque dans ton dernier souffle? Maintenant le seul baiser que je peux t'offrir est celui qui te dira adieu...
T'ai-je dit à quel point je t'aimais? Toi, tes folies, ta tendresse... Tu es la plus merveilleuse des curiosités qu'il m'ait été donnée de voir, si pure, si vraie... Au point que j'aie toujours eu peur de t'ébranler, de t'abîmer. Qu'il était bon de marcher à tes côtés... On était jeune et on avait dit qu'on aurait toute notre vie pour s'aimer et là, seulement, nous voilà au bout du chemin. Tu as fait de moi un homme comblé, un homme qui ne peut retenir ses larmes alors même qu'il t'avait fait une promesse... Cette dernière promesse qu'il ne pourrait jamais tenir.
Maintenant que je dois te dire adieu, je devrais remercier celui qu'on appelle Destin de t'avoir rencontrée. Tout cela pourtant était le fruit du hasard, le plus doux des hasards qui nous a permis une vie remplie de surprises. C'étaient ces premiers instants qui furent décisifs. Au détour d'un parc, tu jouais à la poupée, l'imaginant sous toutes ses coutures. Tes inventions étaient innombrables. Moi, je courais derrière mon chien sans crier gare. Et lorsque j'ai rouvert les yeux, j'étais tout égratigné. Tu m'as regardé, ouvrant tes grands yeux étonnés en me demandant si j'étais un aventurier. Tu m'as alors aidé à retirer la terre de mes vêtements en me souriant et nous avons continué à jouer ensemble encore et encore. Il y avait le temps des sourires et le temps des pleurs. Il nous arrivait même assez souvent de nous disputer, en particulier lorsque j'abîmais une ou deux de tes affaires. Nous ne nous sommes jamais quittés de toute notre jeunesse et tout était tellement évident. Tu avais réponse à tout peu importe le problème; lorsque mes parents se disputaient, tu me faisais bien comprendre que non, ce n'était pas de ma faute. Et à chaque fois, tu n'as eu de cesse de me tendre la main.
Tout est sombre. Quand soudain, le jour nous illumine, filtrant à travers les feuilles des arbres, je nous vois enfants. C'est déjà une telle chance que la vie nous ait réunis si tôt. Je repense à nos mères qui s'amusaient à nous regarder nous disputer avec bienveillance. Tu les aurais crues, toi? Et pendant ce temps nous nous découvrions l'un l'autre, nous faisions nos premiers pas. Quelle couleur aurait donc eu ma vie si tu n'avais pas illuminé mes jeunes années de ta présence? Tu étais un garçon turbulent, à l'époque. Je ne compte pas le nombre de fois où tu t'es interposé lorsque tu pensais que quelqu'un me voulait du mal. Oui, tu as toujours été là. Je me souviens encore quand ma mère refusait de te laisser entrer chez nous car tu étais crotté des pieds à la tête. Alors, tu me parlais sous le vieux chêne, les yeux levés vers ma fenêtre. Je pouvais te rejoindre mais tu inventais tellement de prétextes pour que je ne me fasse pas gronder par ta faute. Quels dangers avais-tu mentionnés, déjà? Des loups, des ours, des pirates...
Puis sont arrivés les premières amours... Ils allaient et venaient au rythme des saisons. Tu étais là, prêt à bondir sur n'importe qui me regardait de travers. Tu étais là pour écouter mes joies et apaiser mes peines. Tu étais là... Quel calvaire ça a dû être de me voir rire et pleurer auprès d'autres... Et pourtant, tu n'as pas faibli. Et te voilà, soixante ans plus tard à me tenir la main toujours aussi fermement. Te souviens-tu de ce que tu m'avais dit ce jour-là alors que je rêvais à côté de toi? Il s'agit probablement du souvenir le plus marquant de ce temps-là. Je voulais te trouver une dulcinée et je t'avais demandé si tu croyais au coup de foudre. C'était une nuit d'été où nous avions été surpris par l'orage. Tu m'avais répondu alors que peut-être, si tu te mettais à courir en levant les bras, tu saurais ce que c'était. Depuis ce jour, je n'ai jamais cessé de rire en entendant gronder les cieux.
En grandissant, il y a une chose que j'ai comprise. Même si tu t'amusais à me présenter des jeunes filles de tes amies, je ne pouvais aimer qu'une seule personne de cette manière, je voulais faire partie de sa vie, partager un futur avec elle et la rendre heureuse. Et cette personne ne pouvait être autre que toi, toi et seulement toi. Mais combien en avais-je déjà vus blessés par Amour? C'était ce sentiment aussi doux que douloureux qui avait usé mes parents, ce sentiment qui en avait fait souffrir plus d'un. Il représentait une épreuve difficile pour tout aventurier; une pente glissante infranchissable. J'aurais voulu avoir le courage de capturer ton sourire entre mes lèvres mais je préférais te voir heureuse au bras d'un autre plutôt que de songer à la perspective de te faire du mal et de te perdre.
Enfin, tapi dans l'ombre depuis tout ce temps, il a fallu que je découvre moi-même les beautés du monde. Je ne pouvais pas m'installer sans penser à ces merveilles qui m'attendaient à l'extérieur. Te souviens-tu? Tu m'avais dit que tu m'attendrais avec impatience, que tu voudrais connaître chaque détail. Tu m'avais alors passé une chaîne dorée autour du cou qui ne m'a jamais quitté. Qu'importe la distance, jamais nous n'avions rompu le contact. J'écoutais et lisais toutes tes histoires avec attention et tu t'abreuvais des miennes.
Nous respirions l'insouciance, nous avions nos rêves et une vie à bâtir. Et seulement, nos chemins se sont séparés pour se recroiser encore et encore. Tu voulais une vie libre, parcourir le monde et ses recoins tandis que moi, je rêvais de fonder une famille. Le temps a passé, nous correspondions toujours très régulièrement. Tu vivais indépendant et moi, je me suis mariée et me suis fait un foyer...
Et il y a eu ce jour où tu m'as annoncé que tu allais te marier. Toi aussi tu allais pouvoir exaucer tes souhaits. J'étais tellement ravi de pouvoir contempler ton bonheur. Puis tu m'as fait parrain de tes enfants, témoin de ton existence. Je te voyais, mère de famille épanouie. Jamais je ne t'aurais proposé de lâcher ce bonheur. Je vivais en solitaire en pensant à cette chaleur que je connaîtrais peut-être un jour moi aussi. Je devais attendre d'être prêt. Cependant, je n'ai jamais rencontré de femme capable de rivaliser avec toi. N'importe quel sourire me paraissait fade à côté du tien. Je devais me rendre à l'évidence, tu étais unique et personne ne pouvait te remplacer.
Malgré toutes mes responsabilités de mère de famille, je me souviens d'avoir pensé à toi en regardant les étoiles, de m'être demandé si toi aussi tu essayais de les attraper. On se serait emparés de la même et à l'arrivée, ta main aurait lâché l'étoile pour attraper la mienne. Puis on se serait regardés de cet œil complice. Ces yeux que toi et moi connaissons si bien, ce sourire que l'on imprime, souvenir indélébile. Je suis persuadée que si tu étais venu me chercher, j'aurais tout abandonné... Je n'arrivais pas à aimer mon époux autant que toi. Ceux qui me rattachaient à cette vie étaient mes enfants. La passion et le bonheur qu'il m'avait faits miroiter s'étaient estompés. Et là encore, à chaque moment important, tu étais là. Mariage, naissances, décès et enfin, divorce... Tout cela était terriblement banal et éprouvant et pourtant, tu continuais de me soutenir encore et encore.
J'ai continué de veiller sur toi que je sois en Chine, en Colombie ou en Australie. C'était la tâche que je m'étais donnée. Alors, quelques années plus tard, quand il m'a fallu rentrer, quelles autres attaches pouvais-je avoir à part toi? Je ne pouvais pas m'immiscer dans ton foyer, seulement retrouver ce logis que je ne connaissais pas et qui pourtant, s'avérait être mien. Je doutais tellement et pourtant, c'est toi qui m'as accueilli, comme si tu m'avais vraiment attendu.
Je suis heureuse que tu sois venu prendre ma main, ce jour-là. Comme autrefois. J'étais terriblement seule. Mes enfants ne me comprenaient pas toujours et m'en voulaient pour leur père. Non, je n'avais pas su l'accompagner comme j'aurais dû. Il a tant souffert lui aussi. Peut-être que c'était une erreur, qu'il aurait dû se trouver une épouse plus aimante. Tu m'avais dit que tu m'emmènerais au bout du monde pour me voir briller encore et que tu voulais mourir avec moi. Les choses devaient se passer ainsi depuis le début.
Malgré tout l'amour que je te portais déjà, j'avais enfin réalisé que de toutes les splendeurs de la nature et des hommes que j'avais pu observer, à mes yeux, tu devais bien être celle qui brillait le plus. Tu étais ce trésor inestimable que je voulais à tout prix dérober. Ainsi, j'ai péché. Je t'ai intégrée à mon voyage suivant, le plus long et le plus plaisant de tous. Un plaisir brûlant et coupable. Coupable d'avoir pris la femme d'un autre homme pour moi-même, coupable d'avoir arraché une mère à ses enfants. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'être si heureux de connaître ces merveilles avec toi; la fraîcheur du soir sur la plage, le petit jour qui se lève doucement...
Te souviens-tu? Nous avions cinquante ans et nous ne nous sommes plus quittés. Nous revivions notre enfance après ces expériences qui ont donné une saveur à nos vies. Sucrée, salée, amère, douce, acidulée. Une saveur unique pour chaque homme et femme.
Et c'est ainsi que nous sommes partis mourir dans cette petite maison en bord de mer, calme et chaleureuse. Et tu sais? Je suis heureuse. Je suis avec toi et malgré tous les obstacles que la vie a dressés devant nous, rien ne nous a réellement séparés. Nous nous sommes aimés sans nous arrêter et c'est tout ce qui a jamais compté jusque dans ces derniers instants. Cependant, je dois te laisser. Il y a ce rayon doré qui caresse mon visage. Je ne te vois plus, je ne t'entends plus. Ce sont des adieux silencieux et déchirants mais je sais que nous nous reverrons. Ce n'est qu'une question de temps. Et comme je l'ai toujours fait, dans l'autre monde, je t'attendrai.
Rien ne pouvait me rendre plus heureux que de mourir avec toi. Si j'avais su que notre temps fuirait si vite, je me serais plus appliqué encore à mémoriser chaque trait de ton visage, chaque pli, afin de te rendre encore plus immortelle. Maintenant tu es partie, me laissant plus seul que je ne l'ai jamais été. Je ne pourrai plus rentrer chez moi en pensant que quelqu'un m'y attend. Il est temps que je te dise adieu. Tu es si paisible que je ne parviens pas à te troubler alors je ferme les yeux pour capturer ton dernier sourire. Magnifique et glacial. Un sourire qui avait aussi le goût salé de mes larmes. Ton corps sans vie entre mes bras, je me saisis de la boîte de somnifères que nous avions prévu pour ce moment fatidique. Les étoiles nous ont attendus tout ce temps, alors nous les rejoindrons ensemble.
Oui, j'avais toujours su que nous finirions notre vie ensemble, main dans la main sur une plage. La mer effacerait nos empreintes petit à petit. Nous disparaîtrions... Comme nos larmes, comme nos cris... Plus rien... Mais avant ça, nous nous regarderions, mémorisant le sourire de l'un et de l'autre. Est-ce que nos existences furent réellement un gâchis? Peut-être... Ou peut-être pas... Après tout, nous sommes partis mourir heureux... Peut-on réellement en juger?
Maintenant, ferme tes yeux. Ecoute ma voix, souviens-toi de mon sourire, sens-toi bercer... Tout comme je me souviens du tien, tout comme j'écoute la tienne... Il est temps que la mort nous sépare... Ta main est si chaude... Je sens chaque pli, chaque ride... Il s'en est passé des choses, depuis la toute première fois... Te souviens-tu? Te souviens-tu? Ta voix continue de résonner en moi dans cette douce mélodie pendant que mes doigts se détendent lentement. Tu me parles doucement en maintenant ton emprise, alors que je pars... Je te laisse seul, toi qui ne m'as jamais laissée... Tu me presses de ta chaleur alors que je refroidis... Mais quelle ingrate je fais... La Terre nous rappelle après toutes ces turbulences... C'est inévitable... Et il faut que je te l'inflige... Que je parte la première, égoïstement. Tu sais ? Je t'aime. Comme je t'ai toujours aimé... Plus que n'importe qui...
Et tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que tu es la personne qui me comprend le mieux. Et tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que tu es capable de partir avec moi tout en me maintenant le pied à terre. Tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que ton empathie ne connaît aucune limite. Tu aides toujours les gens à porter leur fardeau, c'est bien une chose que j'admire chez toi. Tu sais, pourquoi je t'aime? Ton sourire, et les courbures de ton visage m'ont toujours réchauffé le cœur. Et tu sais, parce que je t'aime? Je n'ai jamais supporté de te voir souffrir. Et tu sais, parce que je t'aime? Je serais allée jusqu'au bout du monde si tu me le demandais. Et tu sais, parce que je t'aime? J'aurais fait tous les sacrifices du monde pour ton bonheur.
Maintenant, c'est fini... J'aurais fait de mon mieux... J'espère que j'ai réussi... Même s'il faut que je t'entende pleurer pour ces derniers instants qui ont fui à toute vitesse... Même si... Même si... Même si...
Nous aurions eu de bonnes vies, quand même... En exauçant nos souhaits, en restant ensemble... Autant que possible... Je t'entends encore réprimer tes sanglots, je t'entends encore... Et je te vois attaquer les anges qui déposent ce voile blanc sur mes yeux... Tu veux les en empêcher, mais ils t'ignorent... Le film va bientôt commencer...
Tout est sombre. Quand soudain, le jour nous illumine, filtrant à travers les feuilles des arbres, je nous vois enfants. C'est déjà une telle chance que la vie nous ait réunis si tôt. Je repense à nos mères qui s'amusaient à nous regarder nous disputer avec bienveillance. Tu les aurais crues, toi? Et pendant ce temps nous nous découvrions l'un l'autre, nous faisions nos premiers pas. Quelle couleur aurait donc eu ma vie si tu n'avais pas illuminé mes jeunes années de ta présence? Tu étais un garçon turbulent, à l'époque. Je ne compte pas le nombre de fois où tu t'es interposé lorsque tu pensais que quelqu'un me voulait du mal. Oui, tu as toujours été là. Je me souviens encore quand ma mère refusait de te laisser entrer chez nous car tu étais crotté des pieds à la tête. Alors, tu me parlais sous le vieux chêne, les yeux levés vers ma fenêtre. Je pouvais te rejoindre mais tu inventais tellement de prétextes pour que je ne me fasse pas gronder par ta faute. Quels dangers avais-tu mentionnés, déjà? Des loups, des ours, des pirates...
Puis sont arrivées les premières amours... Ils allaient et venaient au rythme des saisons. Tu étais là, prêt à bondir sur n'importe qui me regardait de travers. Tu étais là pour écouter mes joies et apaiser mes peines. Tu étais là... Quel calvaire ça a dû être de me voir rire et pleurer auprès d'autres... Et pourtant, tu n'as pas faibli. Et te voilà, soixante ans plus tard à me tenir la main toujours aussi fermement. Te souviens-tu de ce que tu m'avais dit ce jour-là alors que je rêvais à côté de toi? Il s'agit probablement du souvenir le plus marquant de ce temps-là. Je voulais te trouver une dulcinée et je t'avais demandé si tu croyais au coup de foudre. C'était une nuit d'été où nous avions été surpris par l'orage. Tu m'avais répondu alors que peut-être, si tu te mettais à courir en levant les bras, tu saurais ce que c'était. Depuis ce jour, je n'ai jamais cessé de rire en entendant gronder les cieux.
Nous respirions l'insouciance, nous avions nos rêves et une vie à bâtir. Et seulement, nos chemins se sont séparés pour se recroiser encore et encore. Tu voulais une vie libre, parcourir le monde et ses recoins tandis que moi, je rêvais de fonder une famille. Le temps a passé, nous correspondions toujours très régulièrement. Tu vivais indépendant et moi, je me suis mariée et me suis fait un foyer. Malgré tout, je me souviens d'avoir pensé à toi en regardant les étoiles, de m'être demandé si toi aussi tu essayais de les attraper. On se serait emparés de la même et à l'arrivée, ta main aurait lâché l'étoile pour attraper la mienne. Puis on se serait regardés de cet œil complice. Ces yeux que toi et moi connaissons si bien, ce sourire que l'on imprime, souvenir indélébile. Je suis persuadée que si tu étais venu me chercher, j'aurais tout abandonné... Je n'arrivais pas à aimer mon époux autant que toi. Ceux qui me rattachaient à cette vie étaient mes enfants. La passion et le bonheur qu'il m'avait faits miroiter s'étaient estompés. Et là encore, à chaque moment important, tu étais là. Mariage, naissances, décès et enfin, divorce... Tout cela était terriblement banal et éprouvant et pourtant, tu continuais de me soutenir encore et encore.
Je suis heureuse que tu sois venu prendre ma main, ce jour-là. Comme autrefois. J'étais terriblement seule. Mes enfants ne me comprenaient pas toujours et m'en voulaient pour leur père. Non, je n'avais pas su l'accompagner comme j'aurais dû. Il a tant souffert lui aussi. Peut-être que c'était une erreur, qu'il aurait dû se trouver une épouse plus aimante. Tu m'avais dit que tu m'emmènerais au bout du monde pour me voir briller encore et que tu voulais mourir avec moi. Les choses devaient se passer ainsi depuis le début. Te souviens-tu?
Nous avions cinquante ans et nous ne nous sommes plus quittés. Nous revivions notre enfance après ces expériences qui ont donné une saveur à nos vies. Sucrée, salée, amère, douce, acidulée. Une saveur unique pour chaque homme et femme.
Et c'est ainsi que nous sommes partis mourir dans cette petite maison en bord de mer, calme et chaleureuse. Et tu sais? Je suis heureuse. Je suis avec toi et malgré tous les obstacles que la vie a dressés devant nous, rien ne nous a réellement séparés. Nous nous sommes aimés sans nous arrêter et c'est tout ce qui a jamais compté jusque dans ces derniers instants. Cependant, je dois te laisser. Il y a ce rayon doré qui caresse mon visage. Je ne te vois plus, je ne t'entends plus. Ce sont des adieux silencieux et déchirants mais je sais que nous nous reverrons. Ce n'est qu'une question de temps. Et comme je l'ai toujours fait, dans l'autre monde, je t'attendrai.
J'aimerais tant retarder ton départ, murmurant ton nom avec impuissance. C'est l'issue fatale de nos vies... Il y a des choses que je n'ai jamais pu faire... Cette existence t'a-t-elle réellement satisfaite? A en croire le sourire ancré sur ton visage alors que ta vie s'évanouit dans un soupir, je devrais répondre par l'affirmative... Crois-tu que j'arriverai à décrocher mon regard de la dernière image qu'il me reste de toi? Comment dois-je réagir alors que tu te gèles à jamais? On avait redouté ce moment depuis si longtemps, surtout ces derniers jours... Toute bonne chose a une fin. Et maintenant, je suis frappé par cette onde de choc et je continue à te parler en serrant ta main délicate dans la mienne. Je ne sais pas si tu m'entends, si tu comprends mes murmures, si tu crois me répondre ou alors... Si tu as déjà commencé ton dernier voyage... Malgré les années qui ont passé, pour moi, tu es toujours aussi belle. Je veux te toucher. Je couvrirais bien ton front de baisers ne serait-ce que pour faire fondre la glace qui te recouvre. Si seulement... Mais je n'ose pas et je ne le pourrai pas. J'ai peur de t'embrasser comme cela m'a toujours effrayé. Peur que tu ne t'enfuies au contact de mes lèvres... Et aujourd'hui, ce sera réel... Et pourtant, je voulais te croire éternelle. Pourquoi avais-je donc peur alors que tu es avec moi, même jusque dans ton dernier souffle? Maintenant le seul baiser que je peux t'offrir est celui qui te dira adieu...
T'ai-je dit à quel point je t'aimais? Toi, tes folies, ta tendresse... Tu es la plus merveilleuse des curiosités qu'il m'ait été donnée de voir, si pure, si vraie... Au point que j'aie toujours eu peur de t'ébranler, de t'abîmer. Qu'il était bon de marcher à tes côtés... On était jeune et on avait dit qu'on aurait toute notre vie pour s'aimer et là, seulement, nous voilà au bout du chemin. Tu as fait de moi un homme comblé, un homme qui ne peut retenir ses larmes alors même qu'il t'avait fait une promesse... Cette dernière promesse qu'il ne pourrait jamais tenir.
Maintenant que je dois te dire adieu, je devrais remercier celui qu'on appelle Destin de t'avoir rencontrée. Tout cela pourtant était le fruit du hasard, le plus doux des hasards qui nous a permis une vie remplie de surprises. C'étaient ces premiers instants qui furent décisifs. Au détour d'un parc, tu jouais à la poupée, l'imaginant sous toutes ses coutures. Tes inventions étaient innombrables. Moi, je courais derrière mon chien sans crier gare. Et lorsque j'ai rouvert les yeux, j'étais tout égratigné. Tu m'as regardé, ouvrant tes grands yeux étonnés en me demandant si j'étais un aventurier. Tu m'as alors aidé à retirer la terre de mes vêtements en me souriant et nous avons continué à jouer ensemble encore et encore. Il y avait le temps des sourires et le temps des pleurs. Il nous arrivait même assez souvent de nous disputer, en particulier lorsque j'abîmais une ou deux de tes affaires. Nous ne nous sommes jamais quittés de toute notre jeunesse et tout était tellement évident. Tu avais réponse à tout peu importe le problème; lorsque mes parents se disputaient, tu me faisais bien comprendre que non, ce n'était pas de ma faute. Et à chaque fois, tu n'as eu de cesse de me tendre la main.
En grandissant, il y a une chose que j'ai comprise. Même si tu t'amusais à me présenter des jeunes filles de tes amies, je ne pouvais aimer qu'une seule personne de cette manière, je voulais faire partie de sa vie, partager un futur avec elle et la rendre heureuse. Et cette personne ne pouvait être autre que toi, toi et seulement toi. Mais combien en avais-je déjà vus blessés par Amour? C'était ce sentiment aussi doux que douloureux qui avait usé mes parents, ce sentiment qui en avait fait souffrir plus d'un. Il représentait une épreuve difficile pour tout aventurier; une pente glissante infranchissable. J'aurais voulu avoir le courage de capturer ton sourire entre mes lèvres mais je préférais te voir heureuse au bras d'un autre plutôt que de songer à la perspective de te faire du mal et de te perdre.
Enfin, tapi dans l'ombre depuis tout ce temps, il a fallu que je découvre moi-même les beautés du monde. Je ne pouvais pas m'installer sans penser à ces merveilles qui m'attendaient à l'extérieur. Te souviens-tu? Tu m'avais dit que tu m'attendrais avec impatience, que tu voudrais connaître chaque détail. Tu m'avais alors passé une chaîne dorée autour du cou qui ne m'a jamais quitté. Qu'importe la distance, jamais nous n'avions rompu le contact. J'écoutais et lisais toutes tes histoires avec attention et tu t'abreuvais des miennes. Et il y a eu ce jour où tu m'as annoncé que tu allais te marier. Toi aussi tu allais pouvoir exaucer tes souhaits. J'étais tellement ravi de pouvoir contempler ton bonheur. Puis tu m'as fait parrain de tes enfants, témoin de ton existence. Je te voyais, mère de famille épanouie. Jamais je ne t'aurais proposé de lâcher ce bonheur. Je vivais en solitaire en pensant à cette chaleur que je connaîtrais peut-être un jour moi aussi. Je devais attendre d'être prêt. Cependant, je n'ai jamais rencontré de femme capable de rivaliser avec toi. N'importe quel sourire me paraissait fade à côté du tien. Je devais me rendre à l'évidence, tu étais unique et personne ne pouvait te remplacer.
J'ai continué de veiller sur toi que je sois en Chine, en Colombie ou en Australie. C'était la tâche que je m'étais donnée. Alors, quelques années plus tard, quand il m'a fallu rentrer, quelles autres attaches pouvais-je avoir à part toi? Je ne pouvais pas m'immiscer dans ton foyer, seulement retrouver ce logis que je ne connaissais pas et qui pourtant, s'avérait être mien. Je doutais tellement et pourtant, c'est toi qui m'as accueilli, comme si tu m'avais vraiment attendu. Malgré tout l'amour que je te portais déjà, j'avais enfin réalisé que de toutes les splendeurs de la nature et des hommes que j'avais pu observer, à mes yeux, tu devais bien être celle qui brillait le plus. Tu étais ce trésor inestimable que je voulais à tout prix dérober. Ainsi, j'ai péché. Je t'ai intégrée à mon voyage suivant, le plus long et le plus plaisant de tous. Un plaisir brûlant et coupable. Coupable d'avoir pris la femme d'un autre homme pour moi-même, coupable d'avoir arraché une mère à ses enfants. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'être si heureux de connaître ces merveilles avec toi; la fraîcheur du soir sur la plage, le petit jour qui se lève doucement...
Rien ne pouvait me rendre plus heureux que de mourir avec toi. Si j'avais su que notre temps fuirait si vite, je me serais plus appliqué encore à mémoriser chaque trait de ton visage, chaque pli, afin de te rendre encore plus immortelle. Maintenant tu es partie, me laissant plus seul que je ne l'ai jamais été. Je ne pourrai plus rentrer chez moi en pensant que quelqu'un m'y attend. Il est temps que je te dise adieu. Tu es si paisible que je ne parviens pas à te troubler alors je ferme les yeux pour capturer ton dernier sourire. Magnifique et glacial. Un sourire qui avait aussi le goût salé de mes larmes. Ton corps sans vie entre mes bras, je me saisis de la boîte de somnifères que nous avions prévu pour ce moment fatidique. Les étoiles nous ont attendus tout ce temps, alors nous les rejoindrons ensemble.
Ma-gni-fiques.
Il s'agit de la version où j'ai mélangé les voix de mes deux personnages. Cependant, j'aurais besoin de savoir si on comprend les transitions entre les deux ^^' :
Et la mort les sépara...
Oui, j'avais toujours su que nous finirions notre vie ensemble, main dans la main sur une plage. La mer effacerait nos empreintes petit à petit. Nous disparaîtrions... Comme nos larmes, comme nos cris... Plus rien... Mais avant ça, nous nous regarderions, mémorisant le sourire de l'un et de l'autre. Est-ce que nos existences furent réellement un gâchis? Peut-être... Ou peut-être pas... Après tout, nous sommes partis mourir heureux... Peut-on réellement en juger?
Maintenant, ferme tes yeux. Ecoute ma voix, souviens-toi de mon sourire, sens-toi bercer... Tout comme je me souviens du tien, tout comme j'écoute la tienne... Il est temps que la mort nous sépare... Ta main est si chaude... Je sens chaque pli, chaque ride... Il s'en est passé des choses, depuis la toute première fois... Te souviens-tu? Te souviens-tu? Ta voix continue de résonner en moi dans cette douce mélodie pendant que mes doigts se détendent lentement. Tu me parles doucement en maintenant ton emprise, alors que je pars... Je te laisse seul, toi qui ne m'as jamais laissée... Tu me presses de ta chaleur alors que je refroidis... Mais quelle ingrate je fais... La Terre nous rappelle après toutes ces turbulences... C'est inévitable... Et il faut que je te l'inflige... Que je parte la première, égoïstement. Tu sais ? Je t'aime. Comme je t'ai toujours aimé... Plus que n'importe qui...
Et tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que tu es la personne qui me comprend le mieux. Tu suis mes extravagances tout en maintenant mon pied à terre. Tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que ton empathie ne connaît aucune limite. Tu aides toujours les gens à porter leur fardeau, c'est bien une chose que j'admire chez toi. Tu sais, pourquoi je t'aime? Ton sourire, et les courbures de ton visage m'ont toujours réchauffé le cœur. Et tu sais, parce que je t'aime? Je n'ai jamais supporté de te voir souffrir. Et tu sais, parce que je t'aime? Je serais allée jusqu'au bout du monde si tu me le demandais. Et tu sais, parce que je t'aime? J'aurais fait tous les sacrifices du monde pour ton bonheur.
Maintenant, c'est fini... J'aurais fait de mon mieux... J'espère que j'ai réussi... Même s'il faut que je t'entende pleurer pour ces derniers instants qui ont fui à toute vitesse... Même si... Même si... Même si...
Nous aurions eu de bonnes vies, quand même... En exauçant nos souhaits, en restant ensemble... Autant que possible... Je t'entends encore réprimer tes sanglots, je t'entends encore... Et je te vois attaquer les anges qui déposent ce voile blanc sur mes yeux... Tu veux les en empêcher, mais ils t'ignorent... Le film va bientôt commencer...
J'aimerais tant retarder ton départ, murmurant ton nom avec impuissance. C'est l'issue fatale de nos vies... Il y a des choses que je n'ai jamais pu faire... Cette existence t'a-t-elle réellement satisfaite? A en croire le sourire ancré sur ton visage alors que ta vie s'évanouit dans un soupir, je devrais répondre par l'affirmative... Crois-tu que j'arriverai à décrocher mon regard de la dernière image qu'il me reste de toi? Comment dois-je réagir alors que tu te gèles à jamais? On avait redouté ce moment depuis si longtemps, surtout ces derniers jours... Toute bonne chose a une fin. Et maintenant, je suis frappé par cette onde de choc et je continue à te parler en serrant ta main délicate dans la mienne. Je ne sais pas si tu m'entends, si tu comprends mes murmures, si tu crois me répondre ou alors... Si tu as déjà commencé ton dernier voyage... Malgré les années qui ont passé, pour moi, tu es toujours aussi belle. Je veux te toucher. Je couvrirais bien ton front de baisers ne serait-ce que pour faire fondre la glace qui te recouvre. Si seulement... Mais je n'ose pas et je ne le pourrai pas. J'ai peur de t'embrasser comme cela m'a toujours effrayé. Peur que tu ne t'enfuies au contact de mes lèvres... Et aujourd'hui, ce sera réel... Et pourtant, je voulais te croire éternelle. Pourquoi avais-je donc peur alors que tu es avec moi, même jusque dans ton dernier souffle? Maintenant le seul baiser que je peux t'offrir est celui qui te dira adieu...
T'ai-je dit à quel point je t'aimais? Toi, tes folies, ta tendresse... Tu es la plus merveilleuse des curiosités qu'il m'ait été donnée de voir, si pure, si vraie... Au point que j'aie toujours eu peur de t'ébranler, de t'abîmer. Qu'il était bon de marcher à tes côtés... On était jeune et on avait dit qu'on aurait toute notre vie pour s'aimer et là, seulement, nous voilà au bout du chemin. Tu as fait de moi un homme comblé, un homme qui ne peut retenir ses larmes alors même qu'il t'avait fait une promesse... Cette dernière promesse qu'il ne pourrait jamais tenir.
Maintenant que je dois te dire adieu, je devrais remercier celui qu'on appelle Destin de t'avoir rencontrée. Tout cela pourtant était le fruit du hasard, le plus doux des hasards qui nous a permis une vie remplie de surprises. C'étaient ces premiers instants qui furent décisifs. Au détour d'un parc, tu jouais à la poupée, l'imaginant sous toutes ses coutures. Tes inventions étaient innombrables. Moi, je courais derrière mon chien sans crier gare. Et lorsque j'ai rouvert les yeux, j'étais tout égratigné. Tu m'as regardé, ouvrant tes grands yeux étonnés en me demandant si j'étais un aventurier. Tu m'as alors aidé à retirer la terre de mes vêtements en me souriant et nous avons continué à jouer ensemble encore et encore. Il y avait le temps des sourires et le temps des pleurs. Il nous arrivait même assez souvent de nous disputer, en particulier lorsque j'abîmais une ou deux de tes affaires. Nous ne nous sommes jamais quittés de toute notre jeunesse et tout était tellement évident. Tu avais réponse à tout peu importe le problème; lorsque mes parents se disputaient, tu me faisais bien comprendre que non, ce n'était pas de ma faute. Et à chaque fois, tu n'as eu de cesse de me tendre la main.
Tout est sombre. Quand soudain, le jour nous illumine, filtrant à travers les feuilles des arbres, je nous vois enfants. C'est déjà une telle chance que la vie nous ait réunis si tôt. Je repense à nos mères qui s'amusaient à nous regarder nous disputer avec bienveillance. Tu les aurais crues, toi? Et pendant ce temps nous nous découvrions l'un l'autre, nous faisions nos premiers pas. Quelle couleur aurait donc eu ma vie si tu n'avais pas illuminé mes jeunes années de ta présence? Tu étais un garçon turbulent, à l'époque. Je ne compte pas le nombre de fois où tu t'es interposé lorsque tu pensais que quelqu'un me voulait du mal. Oui, tu as toujours été là. Je me souviens encore quand ma mère refusait de te laisser entrer chez nous car tu étais crotté des pieds à la tête. Alors, tu me parlais sous le vieux chêne, les yeux levés vers ma fenêtre. Je pouvais te rejoindre mais tu inventais tellement de prétextes pour que je ne me fasse pas gronder par ta faute. Quels dangers avais-tu mentionnés, déjà? Des loups, des ours, des pirates...
Puis sont arrivés les premières amours... Ils allaient et venaient au rythme des saisons. Tu étais là, prêt à bondir sur n'importe qui me regardait de travers. Tu étais là pour écouter mes joies et apaiser mes peines. Tu étais là... Quel calvaire ça a dû être de me voir rire et pleurer auprès d'autres... Et pourtant, tu n'as pas faibli. Et te voilà, soixante ans plus tard à me tenir la main toujours aussi fermement. Te souviens-tu de ce que tu m'avais dit ce jour-là alors que je rêvais à côté de toi? Il s'agit probablement du souvenir le plus marquant de ce temps-là. Je voulais te trouver une dulcinée et je t'avais demandé si tu croyais au coup de foudre. C'était une nuit d'été où nous avions été surpris par l'orage. Tu m'avais répondu alors que peut-être, si tu te mettais à courir en levant les bras, tu saurais ce que c'était. Depuis ce jour, je n'ai jamais cessé de rire en entendant gronder les cieux.
En grandissant, il y a une chose que j'ai comprise. Même si tu t'amusais à me présenter des jeunes filles de tes amies, je ne pouvais aimer qu'une seule personne de cette manière, je voulais faire partie de sa vie, partager un futur avec elle et la rendre heureuse. Et cette personne ne pouvait être autre que toi, toi et seulement toi. Mais combien en avais-je déjà vus blessés par Amour? C'était ce sentiment aussi doux que douloureux qui avait usé mes parents, ce sentiment qui en avait fait souffrir plus d'un. Il représentait une épreuve difficile pour tout aventurier; une pente glissante infranchissable. J'aurais voulu avoir le courage de capturer ton sourire entre mes lèvres mais je préférais te voir heureuse au bras d'un autre plutôt que de songer à la perspective de te faire du mal et de te perdre.
Enfin, tapi dans l'ombre depuis tout ce temps, il a fallu que je découvre moi-même les beautés du monde. Je ne pouvais pas m'installer sans penser à ces merveilles qui m'attendaient à l'extérieur. Te souviens-tu? Tu m'avais dit que tu m'attendrais avec impatience, que tu voudrais connaître chaque détail. Tu m'avais alors passé une chaîne dorée autour du cou qui ne m'a jamais quitté. Qu'importe la distance, jamais nous n'avions rompu le contact. J'écoutais et lisais toutes tes histoires avec attention et tu t'abreuvais des miennes.
Nous respirions l'insouciance, nous avions nos rêves et une vie à bâtir. Et seulement, nos chemins se sont séparés pour se recroiser encore et encore. Tu voulais une vie libre, parcourir le monde et ses recoins tandis que moi, je rêvais de fonder une famille. Le temps a passé, nous correspondions toujours très régulièrement. Tu vivais indépendant et moi, je me suis mariée et me suis fait un foyer...
Et il y a eu ce jour où tu m'as annoncé que tu allais te marier. Toi aussi tu allais pouvoir exaucer tes souhaits. J'étais tellement ravi de pouvoir contempler ton bonheur. Puis tu m'as fait parrain de tes enfants, témoin de ton existence. Je te voyais, mère de famille épanouie. Jamais je ne t'aurais proposé de lâcher ce bonheur. Je vivais en solitaire en pensant à cette chaleur que je connaîtrais peut-être un jour moi aussi. Je devais attendre d'être prêt. Cependant, je n'ai jamais rencontré de femme capable de rivaliser avec toi. N'importe quel sourire me paraissait fade à côté du tien. Je devais me rendre à l'évidence, tu étais unique et personne ne pouvait te remplacer.
Malgré toutes mes responsabilités de mère de famille, je me souviens d'avoir pensé à toi en regardant les étoiles, de m'être demandé si toi aussi tu essayais de les attraper. On se serait emparés de la même et à l'arrivée, ta main aurait lâché l'étoile pour attraper la mienne. Puis on se serait regardés de cet œil complice. Ces yeux que toi et moi connaissons si bien, ce sourire que l'on imprime, souvenir indélébile. Je suis persuadée que si tu étais venu me chercher, j'aurais tout abandonné... Je n'arrivais pas à aimer mon époux autant que toi. Ceux qui me rattachaient à cette vie étaient mes enfants. La passion et le bonheur qu'il m'avait faits miroiter s'étaient estompés. Et là encore, à chaque moment important, tu étais là. Mariage, naissances, décès et enfin, divorce... Tout cela était terriblement banal et éprouvant et pourtant, tu continuais de me soutenir encore et encore.
J'ai continué de veiller sur toi que je sois en Chine, en Colombie ou en Australie. C'était la tâche que je m'étais donnée. Alors, quelques années plus tard, quand il m'a fallu rentrer, quelles autres attaches pouvais-je avoir à part toi? Je ne pouvais pas m'immiscer dans ton foyer, seulement retrouver ce logis que je ne connaissais pas et qui pourtant, s'avérait être mien. Je doutais tellement et pourtant, c'est toi qui m'as accueilli, comme si tu m'avais vraiment attendu.
Je suis heureuse que tu sois venu prendre ma main, ce jour-là. Comme autrefois. J'étais terriblement seule. Mes enfants ne me comprenaient pas toujours et m'en voulaient pour leur père. Non, je n'avais pas su l'accompagner comme j'aurais dû. Il a tant souffert lui aussi. Peut-être que c'était une erreur, qu'il aurait dû se trouver une épouse plus aimante. Tu m'avais dit que tu m'emmènerais au bout du monde pour me voir briller encore et que tu voulais mourir avec moi. Les choses devaient se passer ainsi depuis le début.
Malgré tout l'amour que je te portais déjà, j'avais enfin réalisé que de toutes les splendeurs de la nature et des hommes que j'avais pu observer, à mes yeux, tu devais bien être celle qui brillait le plus. Tu étais ce trésor inestimable que je voulais à tout prix dérober. Ainsi, j'ai péché. Je t'ai intégrée à mon voyage suivant, le plus long et le plus plaisant de tous. Un plaisir brûlant et coupable. Coupable d'avoir pris la femme d'un autre homme pour moi-même, coupable d'avoir arraché une mère à ses enfants. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'être si heureux de connaître ces merveilles avec toi; la fraîcheur du soir sur la plage, le petit jour qui se lève doucement...
Te souviens-tu? Nous avions cinquante ans et nous ne nous sommes plus quittés. Nous revivions notre enfance après ces expériences qui ont donné une saveur à nos vies. Sucrée, salée, amère, douce, acidulée. Une saveur unique pour chaque homme et femme.
Et c'est ainsi que nous sommes partis mourir dans cette petite maison en bord de mer, calme et chaleureuse. Et tu sais? Je suis heureuse. Je suis avec toi et malgré tous les obstacles que la vie a dressés devant nous, rien ne nous a réellement séparés. Nous nous sommes aimés sans nous arrêter et c'est tout ce qui a jamais compté jusque dans ces derniers instants. Cependant, je dois te laisser. Il y a ce rayon doré qui caresse mon visage. Je ne te vois plus, je ne t'entends plus. Ce sont des adieux silencieux et déchirants mais je sais que nous nous reverrons. Ce n'est qu'une question de temps. Et comme je l'ai toujours fait, dans l'autre monde, je t'attendrai.
Rien ne pouvait me rendre plus heureux que de mourir avec toi. Si j'avais su que notre temps fuirait si vite, je me serais plus appliqué encore à mémoriser chaque trait de ton visage, chaque pli, afin de te rendre encore plus immortelle. Maintenant tu es partie, me laissant plus seul que je ne l'ai jamais été. Je ne pourrai plus rentrer chez moi en pensant que quelqu'un m'y attend. Il est temps que je te dise adieu. Tu es si paisible que je ne parviens pas à te troubler alors je ferme les yeux pour capturer ton dernier sourire. Magnifique et glacial. Un sourire qui avait aussi le goût salé de mes larmes. Ton corps sans vie entre mes bras, je me saisis de la boîte de somnifères que nous avions prévu pour ce moment fatidique. Les étoiles nous ont attendus tout ce temps, alors nous les rejoindrons ensemble.
La deuxième version plus compréhensible sans doute, où les paroles se suivent directement. Oui, plus simple de s'y retrouver pour le coup ^^'. Seulement, je ne pense pas que le côté "réponse" et "complémentarité" soient plus mises en avant. :
Et la mort les sépara...
Oui, j'avais toujours su que nous finirions notre vie ensemble, main dans la main sur une plage. La mer effacerait nos empreintes petit à petit. Nous disparaîtrions... Comme nos larmes, comme nos cris... Plus rien... Mais avant ça, nous nous regarderions, mémorisant le sourire de l'un et de l'autre. Est-ce que nos existences furent réellement un gâchis? Peut-être... Ou peut-être pas... Après tout, nous sommes partis mourir heureux... Peut-on réellement en juger?
Maintenant, ferme tes yeux. Ecoute ma voix, souviens-toi de mon sourire, sens-toi bercer... Tout comme je me souviens du tien, tout comme j'écoute la tienne... Il est temps que la mort nous sépare... Ta main est si chaude... Je sens chaque pli, chaque ride... Il s'en est passé des choses, depuis la toute première fois... Te souviens-tu? Te souviens-tu? Ta voix continue de résonner en moi dans cette douce mélodie pendant que mes doigts se détendent lentement. Tu me parles doucement en maintenant ton emprise, alors que je pars... Je te laisse seul, toi qui ne m'as jamais laissée... Tu me presses de ta chaleur alors que je refroidis... Mais quelle ingrate je fais... La Terre nous rappelle après toutes ces turbulences... C'est inévitable... Et il faut que je te l'inflige... Que je parte la première, égoïstement. Tu sais ? Je t'aime. Comme je t'ai toujours aimé... Plus que n'importe qui...
Et tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que tu es la personne qui me comprend le mieux. Et tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que tu es capable de partir avec moi tout en me maintenant le pied à terre. Tu sais, pourquoi je t'aime? Parce que ton empathie ne connaît aucune limite. Tu aides toujours les gens à porter leur fardeau, c'est bien une chose que j'admire chez toi. Tu sais, pourquoi je t'aime? Ton sourire, et les courbures de ton visage m'ont toujours réchauffé le cœur. Et tu sais, parce que je t'aime? Je n'ai jamais supporté de te voir souffrir. Et tu sais, parce que je t'aime? Je serais allée jusqu'au bout du monde si tu me le demandais. Et tu sais, parce que je t'aime? J'aurais fait tous les sacrifices du monde pour ton bonheur.
Maintenant, c'est fini... J'aurais fait de mon mieux... J'espère que j'ai réussi... Même s'il faut que je t'entende pleurer pour ces derniers instants qui ont fui à toute vitesse... Même si... Même si... Même si...
Nous aurions eu de bonnes vies, quand même... En exauçant nos souhaits, en restant ensemble... Autant que possible... Je t'entends encore réprimer tes sanglots, je t'entends encore... Et je te vois attaquer les anges qui déposent ce voile blanc sur mes yeux... Tu veux les en empêcher, mais ils t'ignorent... Le film va bientôt commencer...
Tout est sombre. Quand soudain, le jour nous illumine, filtrant à travers les feuilles des arbres, je nous vois enfants. C'est déjà une telle chance que la vie nous ait réunis si tôt. Je repense à nos mères qui s'amusaient à nous regarder nous disputer avec bienveillance. Tu les aurais crues, toi? Et pendant ce temps nous nous découvrions l'un l'autre, nous faisions nos premiers pas. Quelle couleur aurait donc eu ma vie si tu n'avais pas illuminé mes jeunes années de ta présence? Tu étais un garçon turbulent, à l'époque. Je ne compte pas le nombre de fois où tu t'es interposé lorsque tu pensais que quelqu'un me voulait du mal. Oui, tu as toujours été là. Je me souviens encore quand ma mère refusait de te laisser entrer chez nous car tu étais crotté des pieds à la tête. Alors, tu me parlais sous le vieux chêne, les yeux levés vers ma fenêtre. Je pouvais te rejoindre mais tu inventais tellement de prétextes pour que je ne me fasse pas gronder par ta faute. Quels dangers avais-tu mentionnés, déjà? Des loups, des ours, des pirates...
Puis sont arrivées les premières amours... Ils allaient et venaient au rythme des saisons. Tu étais là, prêt à bondir sur n'importe qui me regardait de travers. Tu étais là pour écouter mes joies et apaiser mes peines. Tu étais là... Quel calvaire ça a dû être de me voir rire et pleurer auprès d'autres... Et pourtant, tu n'as pas faibli. Et te voilà, soixante ans plus tard à me tenir la main toujours aussi fermement. Te souviens-tu de ce que tu m'avais dit ce jour-là alors que je rêvais à côté de toi? Il s'agit probablement du souvenir le plus marquant de ce temps-là. Je voulais te trouver une dulcinée et je t'avais demandé si tu croyais au coup de foudre. C'était une nuit d'été où nous avions été surpris par l'orage. Tu m'avais répondu alors que peut-être, si tu te mettais à courir en levant les bras, tu saurais ce que c'était. Depuis ce jour, je n'ai jamais cessé de rire en entendant gronder les cieux.
Nous respirions l'insouciance, nous avions nos rêves et une vie à bâtir. Et seulement, nos chemins se sont séparés pour se recroiser encore et encore. Tu voulais une vie libre, parcourir le monde et ses recoins tandis que moi, je rêvais de fonder une famille. Le temps a passé, nous correspondions toujours très régulièrement. Tu vivais indépendant et moi, je me suis mariée et me suis fait un foyer. Malgré tout, je me souviens d'avoir pensé à toi en regardant les étoiles, de m'être demandé si toi aussi tu essayais de les attraper. On se serait emparés de la même et à l'arrivée, ta main aurait lâché l'étoile pour attraper la mienne. Puis on se serait regardés de cet œil complice. Ces yeux que toi et moi connaissons si bien, ce sourire que l'on imprime, souvenir indélébile. Je suis persuadée que si tu étais venu me chercher, j'aurais tout abandonné... Je n'arrivais pas à aimer mon époux autant que toi. Ceux qui me rattachaient à cette vie étaient mes enfants. La passion et le bonheur qu'il m'avait faits miroiter s'étaient estompés. Et là encore, à chaque moment important, tu étais là. Mariage, naissances, décès et enfin, divorce... Tout cela était terriblement banal et éprouvant et pourtant, tu continuais de me soutenir encore et encore.
Je suis heureuse que tu sois venu prendre ma main, ce jour-là. Comme autrefois. J'étais terriblement seule. Mes enfants ne me comprenaient pas toujours et m'en voulaient pour leur père. Non, je n'avais pas su l'accompagner comme j'aurais dû. Il a tant souffert lui aussi. Peut-être que c'était une erreur, qu'il aurait dû se trouver une épouse plus aimante. Tu m'avais dit que tu m'emmènerais au bout du monde pour me voir briller encore et que tu voulais mourir avec moi. Les choses devaient se passer ainsi depuis le début. Te souviens-tu?
Nous avions cinquante ans et nous ne nous sommes plus quittés. Nous revivions notre enfance après ces expériences qui ont donné une saveur à nos vies. Sucrée, salée, amère, douce, acidulée. Une saveur unique pour chaque homme et femme.
Et c'est ainsi que nous sommes partis mourir dans cette petite maison en bord de mer, calme et chaleureuse. Et tu sais? Je suis heureuse. Je suis avec toi et malgré tous les obstacles que la vie a dressés devant nous, rien ne nous a réellement séparés. Nous nous sommes aimés sans nous arrêter et c'est tout ce qui a jamais compté jusque dans ces derniers instants. Cependant, je dois te laisser. Il y a ce rayon doré qui caresse mon visage. Je ne te vois plus, je ne t'entends plus. Ce sont des adieux silencieux et déchirants mais je sais que nous nous reverrons. Ce n'est qu'une question de temps. Et comme je l'ai toujours fait, dans l'autre monde, je t'attendrai.
J'aimerais tant retarder ton départ, murmurant ton nom avec impuissance. C'est l'issue fatale de nos vies... Il y a des choses que je n'ai jamais pu faire... Cette existence t'a-t-elle réellement satisfaite? A en croire le sourire ancré sur ton visage alors que ta vie s'évanouit dans un soupir, je devrais répondre par l'affirmative... Crois-tu que j'arriverai à décrocher mon regard de la dernière image qu'il me reste de toi? Comment dois-je réagir alors que tu te gèles à jamais? On avait redouté ce moment depuis si longtemps, surtout ces derniers jours... Toute bonne chose a une fin. Et maintenant, je suis frappé par cette onde de choc et je continue à te parler en serrant ta main délicate dans la mienne. Je ne sais pas si tu m'entends, si tu comprends mes murmures, si tu crois me répondre ou alors... Si tu as déjà commencé ton dernier voyage... Malgré les années qui ont passé, pour moi, tu es toujours aussi belle. Je veux te toucher. Je couvrirais bien ton front de baisers ne serait-ce que pour faire fondre la glace qui te recouvre. Si seulement... Mais je n'ose pas et je ne le pourrai pas. J'ai peur de t'embrasser comme cela m'a toujours effrayé. Peur que tu ne t'enfuies au contact de mes lèvres... Et aujourd'hui, ce sera réel... Et pourtant, je voulais te croire éternelle. Pourquoi avais-je donc peur alors que tu es avec moi, même jusque dans ton dernier souffle? Maintenant le seul baiser que je peux t'offrir est celui qui te dira adieu...
T'ai-je dit à quel point je t'aimais? Toi, tes folies, ta tendresse... Tu es la plus merveilleuse des curiosités qu'il m'ait été donnée de voir, si pure, si vraie... Au point que j'aie toujours eu peur de t'ébranler, de t'abîmer. Qu'il était bon de marcher à tes côtés... On était jeune et on avait dit qu'on aurait toute notre vie pour s'aimer et là, seulement, nous voilà au bout du chemin. Tu as fait de moi un homme comblé, un homme qui ne peut retenir ses larmes alors même qu'il t'avait fait une promesse... Cette dernière promesse qu'il ne pourrait jamais tenir.
Maintenant que je dois te dire adieu, je devrais remercier celui qu'on appelle Destin de t'avoir rencontrée. Tout cela pourtant était le fruit du hasard, le plus doux des hasards qui nous a permis une vie remplie de surprises. C'étaient ces premiers instants qui furent décisifs. Au détour d'un parc, tu jouais à la poupée, l'imaginant sous toutes ses coutures. Tes inventions étaient innombrables. Moi, je courais derrière mon chien sans crier gare. Et lorsque j'ai rouvert les yeux, j'étais tout égratigné. Tu m'as regardé, ouvrant tes grands yeux étonnés en me demandant si j'étais un aventurier. Tu m'as alors aidé à retirer la terre de mes vêtements en me souriant et nous avons continué à jouer ensemble encore et encore. Il y avait le temps des sourires et le temps des pleurs. Il nous arrivait même assez souvent de nous disputer, en particulier lorsque j'abîmais une ou deux de tes affaires. Nous ne nous sommes jamais quittés de toute notre jeunesse et tout était tellement évident. Tu avais réponse à tout peu importe le problème; lorsque mes parents se disputaient, tu me faisais bien comprendre que non, ce n'était pas de ma faute. Et à chaque fois, tu n'as eu de cesse de me tendre la main.
En grandissant, il y a une chose que j'ai comprise. Même si tu t'amusais à me présenter des jeunes filles de tes amies, je ne pouvais aimer qu'une seule personne de cette manière, je voulais faire partie de sa vie, partager un futur avec elle et la rendre heureuse. Et cette personne ne pouvait être autre que toi, toi et seulement toi. Mais combien en avais-je déjà vus blessés par Amour? C'était ce sentiment aussi doux que douloureux qui avait usé mes parents, ce sentiment qui en avait fait souffrir plus d'un. Il représentait une épreuve difficile pour tout aventurier; une pente glissante infranchissable. J'aurais voulu avoir le courage de capturer ton sourire entre mes lèvres mais je préférais te voir heureuse au bras d'un autre plutôt que de songer à la perspective de te faire du mal et de te perdre.
Enfin, tapi dans l'ombre depuis tout ce temps, il a fallu que je découvre moi-même les beautés du monde. Je ne pouvais pas m'installer sans penser à ces merveilles qui m'attendaient à l'extérieur. Te souviens-tu? Tu m'avais dit que tu m'attendrais avec impatience, que tu voudrais connaître chaque détail. Tu m'avais alors passé une chaîne dorée autour du cou qui ne m'a jamais quitté. Qu'importe la distance, jamais nous n'avions rompu le contact. J'écoutais et lisais toutes tes histoires avec attention et tu t'abreuvais des miennes. Et il y a eu ce jour où tu m'as annoncé que tu allais te marier. Toi aussi tu allais pouvoir exaucer tes souhaits. J'étais tellement ravi de pouvoir contempler ton bonheur. Puis tu m'as fait parrain de tes enfants, témoin de ton existence. Je te voyais, mère de famille épanouie. Jamais je ne t'aurais proposé de lâcher ce bonheur. Je vivais en solitaire en pensant à cette chaleur que je connaîtrais peut-être un jour moi aussi. Je devais attendre d'être prêt. Cependant, je n'ai jamais rencontré de femme capable de rivaliser avec toi. N'importe quel sourire me paraissait fade à côté du tien. Je devais me rendre à l'évidence, tu étais unique et personne ne pouvait te remplacer.
J'ai continué de veiller sur toi que je sois en Chine, en Colombie ou en Australie. C'était la tâche que je m'étais donnée. Alors, quelques années plus tard, quand il m'a fallu rentrer, quelles autres attaches pouvais-je avoir à part toi? Je ne pouvais pas m'immiscer dans ton foyer, seulement retrouver ce logis que je ne connaissais pas et qui pourtant, s'avérait être mien. Je doutais tellement et pourtant, c'est toi qui m'as accueilli, comme si tu m'avais vraiment attendu. Malgré tout l'amour que je te portais déjà, j'avais enfin réalisé que de toutes les splendeurs de la nature et des hommes que j'avais pu observer, à mes yeux, tu devais bien être celle qui brillait le plus. Tu étais ce trésor inestimable que je voulais à tout prix dérober. Ainsi, j'ai péché. Je t'ai intégrée à mon voyage suivant, le plus long et le plus plaisant de tous. Un plaisir brûlant et coupable. Coupable d'avoir pris la femme d'un autre homme pour moi-même, coupable d'avoir arraché une mère à ses enfants. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'être si heureux de connaître ces merveilles avec toi; la fraîcheur du soir sur la plage, le petit jour qui se lève doucement...
Rien ne pouvait me rendre plus heureux que de mourir avec toi. Si j'avais su que notre temps fuirait si vite, je me serais plus appliqué encore à mémoriser chaque trait de ton visage, chaque pli, afin de te rendre encore plus immortelle. Maintenant tu es partie, me laissant plus seul que je ne l'ai jamais été. Je ne pourrai plus rentrer chez moi en pensant que quelqu'un m'y attend. Il est temps que je te dise adieu. Tu es si paisible que je ne parviens pas à te troubler alors je ferme les yeux pour capturer ton dernier sourire. Magnifique et glacial. Un sourire qui avait aussi le goût salé de mes larmes. Ton corps sans vie entre mes bras, je me saisis de la boîte de somnifères que nous avions prévu pour ce moment fatidique. Les étoiles nous ont attendus tout ce temps, alors nous les rejoindrons ensemble.
Dernière édition par Irisia ♥ le Ven 4 Aoû 2017 - 17:18, édité 4 fois